Sécurité

Les policiers municipaux de Meaux et Levallois-Perret marchent armés

Le débat sur l’armement de la police municipale a été relancé avec l’assassinat d’une policière à Montrouge (Hauts-de-Seine) durant les attentats de janvier. A Meaux et Levallois-Perret les agents sont dotés de pistolets depuis plus de dix ans.

Car­rure de colosse, le crâne rasé, Aït Mimoun pose son révolver Manurhin sur la table. « Quand on sort son arme c’est qu’il y a un dan­ger vital immé­di­at », lance-t-il la voix grave. De dan­ger, ce matin, il n’y en aura guère à Lev­al­lois-Per­ret (Hauts-de-Seine). Dans les locaux de la police munic­i­pale de la ville, la rou­tine s’installe et dans les couloirs tous les agents marchent le canon à la ceinture.

En Ile-de-France, Lev­al­lois-Per­ret fait fig­ure de précurseur. Elle est la pre­mière com­mune de la région à avoir doté sa police munic­i­pale d’armes de poing. Une mesure mise en place dès 1983 par le maire UMP Patrick Balka­ny. Aujourd’hui, chaque agent est équipé d’un ton­fa, d’une bombe lacry­mogène et d’un révolver Manurhin à six coups.

Une formation exigeante

Aït Mimoun est l’un des deux for­ma­teurs de la police munic­i­pale de Lev­el­lois-Per­ret habil­ité et asser­men­té à for­mer ses col­lègues au maniement des armes. Il a dû, durant six semaines en école de gen­darmerie, faire ses preuves afin de pou­voir dis­penser des séances de tir aux col­lègues de sa com­mune et d’autres villes. En règle générale, durant quinze jours, les agents munic­i­paux se ren­dent en école de police pour y subir des tests psy­chotech­niques et d’aptitudes à pou­voir être armés. Durant cette for­ma­tion de 15 jours, la ques­tion de la procé­dure pénale est abor­dée : Pourquoi avoir une arme ? Com­ment s’en servir ? Dans quelles con­di­tions ? La légitime défense est théorisée et doit être com­prise. Puis il s’ag­it d’ac­quérir les bases tech­niques pour enfin se voir délivr­er une autori­sa­tion de port d’arme agrée par le pro­cureur et le préfet.

Les policiers munic­i­paux doivent se sous­traire à deux séances de tir oblig­a­toires par an. Durant ces ses­sions, ils sont tenus de tir­er au min­i­mum 25 fois, soit 50 cartouches.

« Ce sont des mis­es en sit­u­a­tion. C’est pas j’arrive, je tire. Il y a un respect des appuis au sol, de la posi­tion de tir, du main­tien de l’arme, des réglages des organes de visées. Tout doit être respec­té à la let­tre.»

Sans compter les règles générales de sécu­rité dont l’acquisition est fon­da­men­tale. « Vous êtes sur un con­trôle routi­er et vous avez un indi­vidu qui ne coopère pas. Vous sen­tez qu’il pré­pare quelque chose. Rien ne vous inter­dit de sor­tir votre arme et de le met­tre en joue. Mais quand je vous par­le de règles de sécu­rité, cela veut dire que lorsque vous le met­tez en joue, c’est le doigt le long du pon­tet, jamais sur la détente. » Para­doxale­ment, les policiers munic­i­paux s’exercent aux tirs plus sou­vent que leurs con­frères de la police nationale.

La sécurité au premier plan

Pour Stéphanie, poli­cière munic­i­pale à Lev­al­lois-Per­ret, le port d’une arme de poing est une évi­dence. Surtout pour elle qui a débuté sa car­rière à Cor­beil-Essonne (Essonne) dans une unité dépourvue de pis­to­let. « On fait par­tie de la force publique et de ce fait je trou­ve nor­mal que le polici­er munic­i­pal soit armé. Cela doit faire par­tie inté­grante de son équipement », affirme-t-elle avec force. « Hélas, les évène­ments l’ont mon­tré, un polici­er reste un polici­er. Il n’ y pas de dis­tinc­tion entre munic­i­pal et nation­al. »

Les agents locaux assurent une mis­sion de pro­tec­tion publique à l’instar de leurs homo­logues nationaux. Dans la ville, les deux ser­vices tra­vail­lent de con­cert. Ain­si, les com­mu­ni­ca­tions radio sont com­munes aux deux unités. « Lorsqu’on inter­vient et que nous sommes au-delà de nos prérog­a­tives, on appelle l’OPJ (offici­er de police judi­ci­aire, Ndlr). », explique Elvire Gas­mi, direc­trice générale adjointe des ser­vices chargés de la sécu­rité publique et de l’inspection générale des services.

Bertrand Per­cie du Sert est adjoint au maire, délégué à la sécu­rité publique et à la police munic­i­pale. Pour lui c’est clair : « Notre choix est de pro­téger nos agents sur la voie publique avec un max­i­mum de pro­tec­tion donc des armes, un gilet pare-balle et puis l’uniforme ». Selon lui, la poli­tique de la ville en matière de préven­tion et de pro­tec­tion le jus­ti­fie. Les évène­ments du mois de jan­vi­er ont con­forté les autorités lev­al­loisi­ennes de l’utilité d’une police locale dotée d’une force létale. Même si « en 28 ans d’existence, jamais un agent n’a eu à se servir de son révolver », souf­fle M. Per­cie du Sert.

Différence d’armement

Équipés pour la plu­part de révolver Manurhin, les policiers munic­i­paux français ne dis­posent pas des mêmes armes que leurs col­lègues nationaux. Ces derniers utilisent des pis­to­lets semi-automa­tiques, avec des chargeurs dotés d’une capac­ité de 15 car­touch­es. « Le recharge­ment est plus rapi­de que sur un révolver et la capac­ité de tir est plus con­séquente. De plus, la prise en main de l’arme est plus adap­tée », analyse Aït Mimoun.

Pour palier à cela, Patrick Balka­ny, le maire de Lev­al­lois-Per­ret, compte prochaine­ment dépos­er deux propo­si­tions de loi sur l’armement de la police munic­i­pale. La pre­mière lais­serait le choix aux maires : armer les policiers munic­i­paux ou de ne pas avoir de police munic­i­pale du tout. La sec­onde enjoint d’armer de manière iden­tique policiers munic­i­paux et nationaux.

Ce sujet est le cheval de bataille du Syn­di­cat nation­al des policiers munic­i­paux (SNPM) qui se prononce en sa faveur. Le port mar­tial, engoncé dans un duf­fle-coat som­bre, Patrice Le Bail, mem­bre du Con­seil nation­al du SNPM assène la posi­tion du syn­di­cat sur la ques­tion : « Pour nous un maire qui donne des mis­sions de police sans armer et sans pro­téger son per­son­nel doit être attaqué pour mise en dan­ger de la vie d’autrui. Il expose ses hommes à des risques ».

Le syn­di­cat n’est pas con­va­in­cu par la récente annonce du gou­verne­ment qui pro­pose de met­tre à dis­po­si­tion des com­munes qui le désirent, 4000 revolvers et 8000 gilets pare-balles à des­ti­na­tion de leur police munic­i­pale. « Les gilets pare-balle ont été négo­ciés sous le man­dat de l’ancien min­istre de l’Intérieur, Claude Guéant. Il n’y a rien de nou­veau. Le gou­verne­ment par­le de 4000 armes mis­es à dis­po­si­tion mais le prob­lème c’est qu’on est 14000 policiers munic­i­paux », cal­cule M. Le Bail.

Tranquillité d’esprit

À Meaux (Seine-et-Marne), la police munic­i­pale, créée en 1993, est armée dès 1997 c’est-à-dire peu après l’arrivée de Jean-François Copé à la tête de la mairie. De 1996 à 1997, le taux de délin­quance était de 107 faits délictueux pour 1000 habi­tants. Aujourd’hui, la ville se tar­gue de 52,7 faits délictueux pour 1000 habi­tants. « La délin­quance de voie publique a dimin­ué de plus de 50 % », résume d’une voix calme Dominick Lemul­lois, directeur de la police munic­i­pale de Meaux. « Bien enten­du, je ne fais aucun lien entre l’armement et la baisse de la délin­quance. Ça n’a aucun lien. C’est la poli­tique en matière de sécu­rité, de manière glob­ale, qui est en est la cause », pondère le patron des « municipaux ».

« Je ne vois pas de prob­lème dans le fait d’armer une police munic­i­pale. C’est un équipement comme un autre, sans vouloir banalis­er le fait de porter des bombes lacry­mogènes. Mais on s’aperçoit tout de même que les policiers sont plus sere­ins et moins inqui­ets ».

Un son de cloche qui résonne jusqu’à Lev­al­lois-Per­ret. « Quand je suis sur la voie publique je me sens plus en sécu­rité armé que non armé. C’est logique », note Aït Mimoun. Depuis les évène­ments de jan­vi­er, il estime que c’est « néces­saire ». « Le risque est plus accru. Ça peut se repro­duire n’importe où, n’importe quand. Je pense à notre col­lègue tuée froide­ment de dos. Si son col­lègue avait été armé il aurait pu, peut-être, éviter la cat­a­stro­phe qu’il y a eu juste après. Avec des « si » on refait le monde … », soupire-t-il.

Policier de seconde zone

Le décès de Claris­sa Jean-Phillipe, poli­cière munic­i­pale de Mon­trouge, tuée d‘une balle dans le dos par Ame­dy Coulibaly, a ravivé le débat sur la ques­tion de l’armement des forces de l’ordre ter­ri­to­r­i­al. Un ser­pent de mer que le meurtre d’Aurelie Fou­quet, poli­cière munic­i­pale, en 2005 à Villers-sur-Marne (Val de Marne), n’avait pas suf­fit à régler. À tra­vers ces deux affaires c’est le statut du polici­er munic­i­pal qui est à chaque fois mis en exer­gue. Les hommes et femmes en bleu employés par la mairie sem­blent pâtir d’un manque de lis­i­bil­ité sur leur rôle et leur place au sein des forces de l’ordre.

« Il y a encore cette image que la pro­fes­sion traine. Celle que l’ancêtre du polici­er munic­i­pal c’est le garde cham­pêtre. Ce qui a tout boulever­sé c’est la loi de Jean-Pierre Chevène­ment en 1999. Il a don­né des pou­voirs sup­plé­men­taires aux munic­i­paux et nous sommes devenus des policiers à part entière », explique Patrice Le Bail .

Il n’hésite pas à point­er du doigt un prob­lème de per­cep­tion vis à vis de la pro­fes­sion. À ses yeux, il est impor­tant de répéter que l’agent munic­i­pal est un polici­er comme les autres. « Dans l’esprit des gens, un polici­er munic­i­pal c’est pour faire tra­vers­er les enfants et sur­veiller les marchés.… ».

Une image car­i­cat­u­rale : la plu­part des agents chargés de ce type de tâch­es sont des ASVP (Agent de sur­veil­lance de la voix publique). À terme, et sans lég­is­la­tion en la matière, le prin­ci­pal risque est d’en arriv­er à une police munic­i­pale à deux vitesses craint Elvire Gas­my :« Vous avez des policiers armés et d’autres qui ne le sont pas. Vous allez voir qu’avec les récents évène­ments des agents vont choisir des villes où ils pour­ront être armés ».

 

 Pho­to d’en-tête : Les policiers munic­i­paux reçoivent une for­ma­tion de 15 jours pour tester leur apti­tude à être armés. (3millions7 / L. Mbembe)