De Belgrade à Paris, Marseille et Lyon, la kalachnikov voyage en toute illégalité et enrichit les trafiquants. 250 euros sans crosse, 300 avec, l’AK 47 est devenue une référence, le compagnon fidèle des petits voyous, grands caïds et apprentis « terroristes ».
Peu chère, maniable et efficace, elle est omniprésente dans le milieu criminel français. Régulièrement utilisée dans les règlements de compte et braquages, elle a été utilisée par les frères Kouachi lors des attentats de Charlie Hebdo. Mais comment le célèbre fusil d’assaut russe, produit depuis plusieurs décennies en Europe de l’est, a‑t-il pu si bien s’exporter sur le territoire français ?
Selon les douanes françaises, près de 15% des armes en circulation sur le territoire français en 2014 (30 000 au total) étaient des fusils d’assaut de type kalachnikov (du nom de son inventeur russe), essentiellement en provenance des Balkans.
Stocks de l’armée soviétique
La circulation illégale des armes vers la France a explosé dans les années 1990. Un afflux massif provoqué par l’effondrement de l’URSS et le pillage des arsenaux de l’armée albanaise après l’effondrement du pays en 1997. Des milliers de AK 47 ont été écoulées par les soldats contre quelques centaines de dollars et ont été payées rubis sur l’ongle. A l’époque, les vieilles kalachnikov, pour la plupart neutralisées, ont été récupérées par les trafiquants d’Europe de l’est, ravis de pouvoir alimenter le marché noir européen.
Les trafiquants des Balkans ont lancé de vastes opérations de “remilitarisation” des armes soviétiques pour leur offrir une deuxième vie. Culasses, canons et chargeurs… les kalachnikov ont été remises en état de marche et acheminées près de la frontière européenne, où les passeurs organisent des convois pour les faire rentrer dans l’Espace Schengen ou dans l’Union européenne. “La plupart du temps par voiture, et sur les points de passage les moins contrôlés, notamment à la frontière croate”, explique un membre de la DGPN, qui a souhaité préservé l’anonymat.
La pénétration de l’espace européen est l’étape cruciale pour les trafiquants. Une fois introduite, la kalachnikov est capable de franchir les frontières grâce à la levée des contrôles douaniers intra-européens. « Sur le territoire européen, les trafiquants qui transportent une dizaine d’armes peuvent progressivement passer les frontières jusqu’à atteindre la France », explique la même source.
Des dépôts en Italie et Belgique
Les routes sont privilégiées pour transporter clandestinement ces armes faciles à dissimuler. « Une aubaine depuis l’instauration de la libre circulation des biens et des personnes », selon un policier. Les trafiquants sont organisés en réseaux, avec des grossistes aux frontières et une diaspora balkanique très active jusqu’à la France. Les armes sont stockées dans des réserves et des dépôts, notamment en Italie et en Belgique. Elles sont acheminées en fonction des besoins des trafiquants français de cigarettes et de drogues, qui cherchent à protéger leur business dans les centres urbains et les banlieues.
“Serbes, Kosovars, Albanais, ce sont les meilleurs” (une source à la Direction générale de la police nationale)
En quelques années, les filières vers la France ont professionnalisé la circulation des armes. « Serbes, Kosovars, Albanais, ce sont les meilleurs », explique la source de la DGPN. En France, les armes achetées par lots ou au comptant sont réceptionnées par les criminels et dealers. Elles sont cachées et stockées dans des “pools”, sorte de cachettes, la plupart du temps dans des caves ou garages, en attendant d’être utilisées lors de casses, braquages voire attentats.
En 2010, l’organisation internationale Interpol avait mis en garde contre le trafic transnational des armes dans le monde et en Europe, évoquant « une menace sur la sûreté, la paix et la sécurité ». Au lendemain de l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve avait annoncé de nouvelles mesures de contrôle sur l’entrée et la circulation des armes dans l’Union européenne.