Il est allé jusqu’à se surnommer Oussama Ben Le Guen. Pour l’état civil, il est Gilles Le Guen, un Breton passé par la marine marchande et ayant échoué dans les rangs djihadistes avant d’être arrêté en 2013 au Mali. C’est ainsi que l’a présenté le président du tribunal correctionnel de Paris, où il comparaissait lundi et mardi, pour “association de malfaiteur”. La justice française le poursuit pour son engagement au sein du groupe terroriste Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) entre le 22 décembre 2012 et le 23 avril 2013. Il encourt une peine de huit ans de prison ferme. Il connaîtra son sort le 15 mai, date à laquelle le tribunal correctionnel a mis en délibéré le verdict.
Un ancien marin
Gilles le Guen, 60 ans, ancien capitaine de la marine marchande venu de Bretagne, n’avait guère le profil du djihadiste. Dans son box, il ne sait pas s’il doit s’asseoir ou rester debout. Sur ordre du procureur, il se lève et s’appuie à la barre. On dirait qu’il lutte en pleine tempête sur un rafiot. Une peau presque verdâtre, les joues creuses, un corps décharné. Il possède un physique ordinaire, presque chétif. Ses premiers mots sont inaudibles. Dès le début de l’audience, les journalistes protestent : “plus fort le micro, on ne comprend rien”. L’accusé se ressaisit, appuie ses paroles par des gestes, conteste certains faits. Il met parfois tellement de vigueur dans ces argumentaires qu’il en vient à perdre son souffle.
Enfance près de Cherbourg
Né le 21 février 1955 à Nantes, Gilles Le Guen est issu d’une famille de trois enfants. Son père, souvent absent, était chef mécanicien dans la marine. Sa mère s’occupait du foyer. L’homme a eu une enfance paisible près de Cherbourg. “J’ai eu et j’ai toujours de bonnes relations avec mes parents”, dit-il. Son petit frère Philippe, dont il était très proche, décèdera dans un hôpital psychiatrique d’une overdose médicamenteuse. Une blessure qui le marquera. Adolescent, il plonge dans l’héroïne. Pour s’en sortir, Il étudie à l’école de la marine marchande à Marseille. Il travaille en 1976 comme capitaine et découvre l’Afrique.
En 1982, il s’engage aux côtés de Médecins Sans Frontières. Une mauvaise expérience. Il ne supportait pas les remarques racistes des bénévoles : ” Ici c’est pas de la médecine normale, c’est de la médecine vétérinaire “, se souvient-il en citant ses collègues de l’époque. Il en vient à s’intéresser à l’islam au point de se convertir la même année. Pour sa mère, Gilles a toujours été “religieux et engagé”. Avant l’islam, il s’était tourné vers le catholicisme puis l’hindouisme, toujours en recherche de réponses aux nombreuses questions qu’il se pose sur le sens de la vie. Au fil des années, sa foi musulmane se renforce. C’est à pied qu’il effectue le pèlerinage vers la Mecque. Il tente d’intégrer l’université islamique de la ville, mais il échoue.
“Un manipulateur”
Alors qu’il continue sa carrière de marin, il se marie deux fois en France. Et a trois enfants : Yoann en 1988, Karim en 1995 et Simbad en 1996. Son fils aîné a pris la défense de son père pendant l’audience, affirmant qu’il n’est “pas dangereux, pas capable de violence. Il est juste attiré par le voyage et souhaite pratiquer sa religion librement “.
Sa foi aura un impact sur sa vie personnelle et il mettra un terme à ses deux relations. Dans les années 90, il quitte la marine et s’installe dans la Drôme avec sa deuxième femme, Nadine. Il souhaite s’éloigner de la société de consommation et construit lui même une petite ferme dans laquelle il vivra jusqu’à son départ au Maroc en 2002.
L’homme se définit comme un marginal poussé par une démarche spirituelle. Progressivement, Il commence, à la même période, à convertir certains membres de sa famille, à l’islam notamment un de ses neveux. Pour les psychiatres, qui l’ont examiné avant le procès,“Gilles Le Guen n’est pas un révolté ou un marginal mais un manipulateur.”
“Il crée l’existence de boucs émissaires comme le complot juif-américain pour combler ses angoisses du passé, notamment l’absence de son père.” selon le rapport de personnalité cité par le président de la cour. Toujours selon les psychiatres, cette personnalité le pousse vers la fanatisme : “Il a peu d’affects pour les autres ce qui est signe d’une personnalité fanatique.”
Ce fanatisme se révèle lorsqu’il évoque les attentats du 11 septembre. Pour lui, c’est un acte de guerre comparable à l’Irak et à l’Afghanistan.
L’engagement au Mali
En 2011, il s’installe avec sa troisième femme et ses cinq autres enfants dans un village au nord de Tombouctou. En juin 2012, il rejoint cette ville pour intégrer les rangs d’AQMI. Nawal, sa femme qui vit actuellement à Cherbourg, le défend : “Il a d’abord voulu rejoindre les rangs d’AQMI car des milices catholiques faisaient du mal aux musulmans. Mais il a vite été déçu.” Durant la période s’étalant du 22 décembre 2012 au 23 avril 2013, Gilles Le Guen s’est entraîné dans des camps aux maniements des armes. Il a apporté un soutien logistique en travaillant dans une centrale électrique de Tombouctou. Il a conduit un camion rempli d’armes lors de la bataille de Diabaly, en janvier 2013. Et enfin, il a réalisé des vidéos de propagande djihadiste.
Lui assure avec une sincérité poignante que non : ” Aqmi m’a demandé de faire des menaces mais je ne suis rien du tout.” Il émet même des regrets : ” Je me suis engagé auprès d’Aqmi parce que ça me tenait à cœur. Ce qui se passe en Irak, en Palestine et en Syrie ça me tient toujours à cœur. Mais vers la fin je me suis aperçu qu’ils (AQMI) n’avaient rien à proposer…Ces gens-là sont des terroristes.” A la fin du procès, il en vient à soutenir l’intervention française au Mali. Marin breton, djihadiste français, il s’affiche désormais en repenti… Gilles Le Guen ou l’ancien navigateur naufragé.
Son avocat, maître Alexandre Vermynck, admet que son client a voulu découvrir la pratique d’un islam religieux en rejoignant les rangs d’Aqmi.