« Ils sont en retard ». Les mots résonnent dans le hall désert de la Maison des journalistes, dans le XVème arrondissement de Paris. Lisa Maria Rossi, chargée de communication de l’association fait les cent pas. Avec un accent italien prononcé, elle s’excuse : « ils vont arriver ».
Dans le cadre de la 26ème semaine des médias, le lieu ouvre ses portes à un groupe scolaire. Le temps d’un après-midi, les élèves vont découvrir le lieu de vie d’un journaliste exilé.
D’un pas pressé, Mourad Hammami passe, caméra à l’épaule. Ce journaliste algérien a été dépêché pour filmer et faire visiter la maison, où il réside depuis près d’un mois. Sur l’un des murs peints de l’entrée, une feuille A4 scotchée énonce : « Bienvenue aux élèves des Bouchoux ».
L’association a déjà reçu des groupes de collégiens, de lycéens ou même d’universitaires, mais, pour toute l’équipe de la Maison des journalistes, faire visiter l’établissement à des primaires est une première. Au loin, les bruits de la rue s’effacent peu à peu au profit de rires et de cris. « Ils arrivent », entend-t-on murmurer…
Un nuage de sourires édentés
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, vingt-quatre têtes blondes de 8 à 10 ans font leur apparition. Dans un nuage de sourires édentés et de doudounes aux couleurs chatoyantes, Darline Cothière, directrice de la Maison des journalistes, Lisa Maria Rossi et Frédéric Roy, directeur de la communication, les installent dans la salle Scam, où travaillent les journalistes exilés.
Darline Cothière présente l’association simplement : la Maison des journalistes est un refuge pour les journalistes exilés. Depuis 2002, cette association a déjà accueilli près de 300 journalistes étrangers, qui restent en moyenne six mois. « En ce moment, nous hébergeons 15 journalistes », explique-t-elle.
Sur un pan du mur est projetée une carte représentant les pays d’où viennent les occupants des 14 chambres que compte la Maison des journalistes. Algérie, Syrie, Rwanda, Albanie, Pakistan… Autant de pays où exercer ce métier peut vous mener à la prison, sinon à la mort.
Les petits yeux se baladent sur les murs de la salle. Entre les étagères remplies de livres offerts par les médias soutenant l’association, des affiches en faveur de la liberté de la presse ont été placardées. Mourad Hammami prend la parole : « Pour être journaliste, il faut courir vite, l’information n’attend pas ». Il détaille alors, avec sérieux, l’importance d’internet pour les journalistes. L’importance, aussi, pour les exilés, de communiquer avec les leurs…
Les signatures de Cabu, Riss, Honoré…
La visite commence. La petite troupe s’ébranle, direction le réfectoire, au sous-sol. La salle sans fenêtre est ornée d’une immense frise sur laquelle des caricatures en faveur de la liberté de la presse ont été dessinées.Parmi les signatures présentes, celles de Cabu, Riss, Honoré, tous les trois abattus lors de l’attaque contre la rédaction de Charlie Hebdo début janvier. Les élèves, visiblement passionnés se massent le long du dessin.
La visite se poursuit dans la cuisine. Sur les placards, les noms des médias donataires pour l’association : Ouest France, Canal+, Les Echos. « Et bientôt Mediapart », se félicite Lisa Maria Rossi. Une petite fille demande : « Et D8, ils n’y sont pas ? ».
Au rez-de-chaussée, c’est le moment de visiter les bureaux de l’administration. Devant la personne chargée de récolter des financements, la petite fille demande à nouveau pourquoi D8 n’est pas donataire pour l’association. « Je vais les appeler de ce pas », promet la chargée de financement dans un sourire avant d’expliquer, plus sombrement à l’institutrice : « avec la crise, c’est plus difficile… »
« J’espère qu’elle est bien rangée »
A l’étage, les enfants visitent la chambre de Mourad Hammani. Un petit garçon plaisante : « J’espère qu’elle est bien rangée ! ». La pièce, à l’étage, est assez confortable.
Sur les murs, des listes faites par le journaliste, un calendrier, l’affiche du dernier reportage qu’il a produit avant d’être contraint à l’exil. La déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, aussi. Mais les petits n’en n’ont cure.
Dans un coin, un ordinateur sur lequel apparaissent les derniers montages vidéos de Mourad Hammani. Il se lance dans une explication brève du logiciel de montage, les enfants sont fascinés. En refermant la porte de la chambre, Mourad Hammani confie : « C’est important de montrer tout ça aux enfants, ils ne comprennent pas tout, mais ils ressentent ».
Un étage plus bas, la fatigue se fait sentir. Alors que Lisa Maria Rossi explique à l’institutrice à quel point les attentats du mois de janvier ont choqué les journalistes, les enfants commencent à se dissiper. À commencer par Brian, qui a coincé le cordon de son sweatshirt dans un grillage. Alors que ses camarades s’éloignent, il s’inquiète. Son institutrice le libère dans un sourire.
Journalistes debout et journalistes assis
Qui dit visite avec des enfants dit goûter. Une élève s’évertue à expliquer ce qu’elle a retenu de la visite : « Heu, il y a des journalistes debout et des journalistes euh, assis… ». Clin d’œil, involontaire sans doute, à la phrase qui représentait si bien Charb : « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ». Le petit Achille a le mot de la fin : « Un journaliste doit être libre ».
Sans se faire prier, les enfants se lancent ensuite dans le dessin. Tous représentent la caméra de Mourad Hammani, qui les a tant fascinés. Certains agrémentent leurs œuvres d’un « Mercie la maison des journalistes ! ».
Cette visite n’a pourtant pas éveillé les vocations. Nous sommes ici bien loin de la présentation idéalisée du métier. Les enfants l’ont bien compris. À la fin de la visite, seule Lucie, huit ans, lève la main à la question « Qui veut devenir journaliste ?». Quentin, neuf ans, préfère tout de même devenir footballeur et Manon, dix ans — « et demie », insiste-t-elle — prévoit quant à elle, d’embrasser la carrière de… bergère.
Photo d’en-tête : Cabu, Honoré, Riss entre autres ont signé cette fresque de dessins à l’occasion de la 20ème journée de la liberté de la presse en 2013. (Vanina Delmas / 3millions7)