Ils ont une tête de Jésus mise en beauté tatouée sur l’avant-bras ou un crucifix dormant sur leur poignet, ils croient en Dieu ou pas trop. Ils sont Anglais, Suisses, Français, Américains, et ils ont tout largué pour l’Irak ou la Syrie. Ils ne quittent pas leur routine pour se réinventer une vie de jihadiste, au contraire, écœurés par les exactions du groupe État islamique sur les chrétiens, ils rejoignent des milices chrétiennes ou des troupes kurdes pour combattre à leurs côtés.
Au commencement était le groupe État islamique
Mardi, la BBC a annoncé la mort du Britannique Konstandinos Erik Scurfieldles qui luttait contre les jihadistes avec les Kurdes, dans les Unités de protection du peuple (YPG). Sa famille a demandé s’il pouvait être enterré en Syrie “en martyr”. Même combat, même sort, Ashley Kent Johnston, Australien, est mort il y a une semaine après avoir lui aussi rejoint l’YPG.
Depuis l’auto-proclamation du califat par le groupe État islamique sur les territoires conquis en Syrie et en Irak, les crimes anti-chrétiens se multiplient. D’après l’index mondial des persécutions des chrétiens en 2014, la Syrie et l’Irak figurent respectivement en 3ème et 4ème position des pays où les chrétiens sont le plus persécutés (après la Corée du Nord et la Somalie). L’index mondial des persécutions rapporte :
“La pire attaque recensée contre les chrétiens a eu lieu le 21 octobre 2013, quand 46 chrétiens ont été massacrés par des miliciens islamistes à Sadad en Syrie, une ville à majorité chrétienne”
Je suis chrétien, Kurde, Occidental
Un phénomène nouveau surgit : des Occidentaux, fervents chrétiens ou non, abandonnent leur vie pour rejoindre des milices chrétiennes ou prêter main forte aux Kurdes (5 millions en Irak et 2 millions en Syrie). Les Kurdes, dont une minorité est de confession chrétienne, sont les seuls à disposer de forces suffisantes pour infléchir les crimes du groupe État islamique.
L’Américain Matthew VanDyke a fondé la société militaire Sons of Liberty International (SOLI) qui entraîne et forme au maniement des armes des chrétiens irakiens. Matthew assure aussi avoir formé certains soldats de l’Unité de protection de la Plaine de Ninive (NPU), une milice chrétienne, financée (entre autre) par des membres de la communauté assyrienne américaine.
Brave soldiers of the Nineveh Plain Protection Units have completed training in #Iraq to fight against #ISIS. #NPU pic.twitter.com/utkQ3oFscq
— Matthew VanDyke (@Matt_VanDyke) 23 Février 2015
Également de nationalité américaine, Brett Royales a 28 ans, et se consacre à la défense des Assyriens, l’une des plus anciennes communautés chrétiennes du monde. À la chaîne France 24 il a expliqué combattre “pour que les gens puissent vivre en paix, sans persécution, pour que les cloches de l’église continuent de sonner”. L’un de ses versets préférés dans la Bible est tiré de l’Apocalypse :
“Sois fidèle jusqu’à la mort, et je te donnerai la couronne de vie.”
Sur son profil Facebook, dans la rubrique “emploi”, il dit travailler pour Jésus Christ et la Dwek Nawsha — la plus importante milice chrétienne d’Irak. Il y poste des images sanglantes.
Chrétiens mais pas trop
Les Américains ne sont pas les seuls volontaires pour cet anti-jihad. Le phénomène a aussi gagné l’Europe. En Suisse, Johan Cosar, 33 ans, a co-fondé en 2013 le Conseil militaire syriaque (CMS). Il en est aujourd’hui le commandant. Le CMS est la principale milice chrétienne de Syrie. Près de 1 500 combattants luttent aux côtés des forces kurdes et de l’Armée syrienne libre (ASL). Si Johan Cosar évoque les hommes de sa milice morts au combat comme des “martyrs” — à cause de leur foi —, l’identité religieuse de ces milices prime moins que la volonté de défendre une Syrie multiconfessionnelle et multiethnique.
“On a quatre martyrs, mais on en a tué un paquet dans le gang de Daech.”
Interrogé par La Dépêche, Victor (le prénom a été modifié) est français et il part rejoindre la CMS en Syrie. Il se dit “de confession chrétienne, mais plutôt athée”. Il part parce que pour lui, “ce n’est pas concevable de se faire tuer pour sa religion, qu’on soit chrétien, juif ou musulman”.
Lâcher sa piscine et devenir un héros
Ces Occidentaux se sentent investis d’une mission pour laquelle ils plaquent tout. Avant de partir, le Britannique Tim Locks a été videur dans une boîte de nuit, a travaillé en prison et brillé en entreprise. “J’étais un homme comblé. Je vivais dans une maison splendide avec piscine intérieure et télévision dans chaque pièce, je me rendais huit fois par an en vacances.” explique-t-il au Daily Mail.
En voyant à la télévision le massacre des Yézidis par le groupe État islamique, il se trouve une nouvelle vocation, vend tous ses biens et se réinvente une vie en s’achetant un billet d’avion pour l’Irak, où il s’engage pour la Dwek Nawsha (“futurs sacrifiés” ou “auto-sacrifié” en araméen).
« Je reviendrai chez moi quand Daech [groupe Etat islamique, NDLR] aura disparu de la Terre. »
Il y a trois semaines, Bastien, un Français, a rejoint la Dwek Nawsha subitement. Une milice qu’il décrit comme une “armée chrétienne de libération”. Il confie au Midi Libre : “Depuis 2011, 250 000 chrétiens sont morts en Irak et en Syrie. Avant je croyais en Dieu, sans y croire vraiment. Avec le temps et les événements, j’ai forgé mes convictions.” Bastien parle de sa décision comme “d’un cri contre le massacre des chrétiens par les islamistes”. Lui aussi prend un billet d’avion sans retour :
“Je ne reviendrai pas (…)je ne me sens pas bien en France. Si c’est pour me lever tous les matins et allumer la télévision pour voir des gens se faire massacrer, cela ne sert à rien. Il y a eu l’effet Charlie Hebdo du 11 janvier, et après ? Plus rien.”
Les évêques partagés sur ces milices
Les religieux regardent ces opérations militaires d’un œil plus ou moins amène. En Irak, l’archevêque de Mossoul, Mgr Youhanna Boutros Moshe, s’est rendu à la mi-février dans un camp d’entraînement de l’Unité de protection de la Plaine de Ninive (NPU), pour bénir et encourager les combattants chrétiens.
Mais en Syrie, l’archevêque d’Hassaké se refuse à encourager ces mouvements :
« Évoquer des milices chrétiennes peut alimenter des équivoques et des instrumentalisations, a‑t-il indiqué à l’agence Fides. Si les milices veulent combattre le califat, elles doivent s’enrôler dans les forces régulières ou dans les rangs des milices kurdes sans créer d’autres milices confessionnelles. »
Photo d’en-tête: image de propagande de la milice Dwek Nawsha.