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La Belgique n’a pas de banlieue mais elle a des ghettos

Avec plus de 300 départs en Syrie recensés par les autorités, la Belgique est avec la France un des plus gros fournisseurs de jihadistes en Europe. Si les deux États fonctionnent différemment, ils sont tous deux confrontés à un phénomène de relégation sociale propice à la radicalisation.

De notre envoyée spé­ciale en Belgique.

Le cerveau pré­sumé de la “Cel­lule de Verviers”, Abdel­hamid Abaaoud, a échap­pé au coup de filet du 15 jan­vi­er. “Le jihadiste le plus recher­ché d’Eu­rope” est tris­te­ment célèbre en Bel­gique pour des vidéos sor­dides dans lesquelles il tracte des cadavres de syriens à l’ar­rière de son véhicule. Il a gran­di à Molen­beek-Saint-Jean, une com­mune lim­itro­phe de Brux­elles. Comme le XIXe arrondisse­ment de Paris des frères Kouachi, Molen­beek est un univers pré­caire à la lisière de la cap­i­tale. Cer­tains par­cours de petite délin­quance y ont dévié vers le fanatisme. Au total, une trentaine de molen­keekois iden­ti­fiés ont déjà rejoint le jihad.

Mustafa Er, mem­bre du cab­i­net du bourgmestre, nuance. Molen­beek n’est pas une “ban­lieue”, cet ovni français :

“Nous n’avons pas con­stru­it de quarti­er à l’é­cart des villes pour héberg­er les pop­u­la­tions pré­caires dans des bar­res d’immeubles.”

Le sociopoli­to­logue Matthieu Biet­lot développe :

“Il n’y a pas de ban­lieues mais il y a une forme de ghet­toï­sa­tion dans cer­tains quartiers et dans les écoles belges.”

Molen­beek est la deux­ième com­mune la plus pau­vre de Bel­gique,“plus de 40% des jeunes sont au chô­mage dans cer­tains quartiers”, regrette Mustafa Er. C’est aus­si une des villes les plus jeunes, et elle compte une forte con­cen­tra­tion de per­son­nes d’o­rig­ine marocaine.

“Une histoire de compromis”

En tout, 343 belges étaient par­tis com­bat­tre en Syrie en sep­tem­bre 2014 selon un comp­tage réal­isé par la police fédérale. Sur les 11 mil­lions d’habi­tants, c’est pro­por­tion­nelle­ment plus que les 1400 départs français recen­sés par le gou­verne­ment. Les deux pays fig­urent par­mi les plus gros four­nisseurs des troupes du groupe État islamique. Bien que très proches, leurs his­toires nationales com­por­tent pour­tant plusieurs dif­férences notables.

La Bel­gique est mar­quée par une “his­toire de com­pro­mis”, estime Math­ieu Biet­lot. Exem­ples : la con­struc­tion bilingue entre la Flan­dre et la Wal­lonie et les coali­tions poli­tiques plutôt que l’al­ter­nance à la française. Autre point impor­tant pour l’ex-uni­ver­si­taire, devenu coor­di­na­teur de l’as­so­ci­a­tion Brux­elles laïque, l’im­mi­gra­tion en Bel­gique, majori­taire­ment maro­caine et turque, est aus­si moins chargée de “l’am­biance post-colo­niale”.

Mais comme en France, “les belges ‘immi­grés de la troisième généra­tion’ con­sta­tent une dis­crim­i­na­tion dans l’ac­cès à l’emploi ou au loge­ment”, relève Math­ieu Biet­lot. Un déficit d’in­té­gra­tion qui nour­rit ressen­ti­ment et replis soci­aux et con­stitue un appuie favor­able aux dis­cours de rad­i­cal­i­sa­tion qui circulent.

Le contenu du téléphone portable d'Abdelhamid Abaaoud retrouvé en Syrie. Capture d'écran du reportage de 7 à la Une .
Le con­tenu du télé­phone portable d’Ab­del­hamid Abaaoud retrou­vé en Syrie. Cap­ture d’écran du reportage de 7 à la Une.

Ces  fac­teurs ne per­me­t­tent pas de tout expli­quer. Le cas d’Ab­del­hamid Abaaoud par exem­ple laisse sans voix. « Il y a une expli­ca­tion psy­chologique », hasarde Math­ieu Biet­lot. Il a étudié dans un col­lège réputé de la cap­i­tale (l’équiv­a­lent du lycée en France). Comme son père, il a tenu un com­merce pen­dant un temps. Omar Abaaoud a répété sa “honte” et son désar­rois face à la vio­lence crim­inelle de son ainé, qui a égale­ment entrainé son petit frère Younes, alors âgé de 14 ans, en Syrie. Le père est arrivé du Maroc il y a 40 ans pour tra­vailler dans les mines belges avant de devenir com­merçant. “Pourquoi, au nom de Dieu, voudrait-il tuer des Belges inno­cents? s’in­ter­ro­geait-il dans la presse. Notre famille doit tout à ce pays.”

Comme l’engagement pour la guerre d’Espagne ?

L’av­o­cat Christophe Marc­hand porte un autre regard sur la rad­i­cal­i­sa­tion. Sa ligne de défense :

” Les gamins qui par­tent se bat­tent pour un idéal. Ils ne sont pas plus dan­gereux que ceux qui ont rejoint les troupes des Répub­li­cains pen­dant la guerre civile espag­nole. Dans la plu­part des cas, l’idéal héroïque qu’ils pour­suiv­aient n’a pas été sat­is­fait. Il arrive que les com­bat­tants vivent un cal­vaire et qu’ils en ressor­tent per­tur­bés, mais pas systématiquement.”

Le mag­is­trat a défendu une quin­zaine de dossiers de jihadistes par­tis en Syrie, ou avant ça en Irak, en Soma­lie et en Afghanistan. Pour lui il s’ag­it d’une démarche de guerre qui ne devrait pas relever du droit com­mun mais de la Cour pénale inter­na­tionale (CPI), habil­itée à juger les cas de crimes de guerre. A ne pas con­fon­dre avec des actes de guerre, con­sid­ère-t-il. Sa défense n’a jamais obtenu gain de cause devant les tri­bunaux. “C’est un dis­cours inaudi­ble”, recon­naît-il.

La com­mune de Molen­beek a fait le choix d’un dia­logue plus réal­iste. Pour lut­ter con­tre les départs, la col­lec­tiv­ité a engagé depuis octo­bre un agent de préven­tion con­tre la rad­i­cal­i­sa­tion. Un soci­o­logue qui tra­vaille dans la plus grande dis­cré­tion sur demande de familles qui voient un de leurs proches entraînés dans l’en­grenage jihadiste.

Le reg­istre de l’hu­mour n’est pas non plus délais­sé. La pièce Dji­had se jouera aus­si prochaine­ment dans la com­mune. Une décon­struc­tion du rad­i­cal­isme “à la marox­el­loise”, con­trac­tion de “maro­caine” et “brux­el­loise”, comme la qual­i­fie Mustafa Er. Se moquer de l’ex­trémisme c’est aus­si regag­n­er du ter­rain sur les tabous.

Pho­to d’en-tête : Les mesures de sécu­rité ont été ren­for­cées devant le com­mis­sari­at de police de Molen­beek-Saint-Jean. 3millions7.com : Juli­ette Harau