Une odeur de brûlé et de poudre se dégage encore dans la cage d’escalier. Souvenir de l’assaut donné le jeudi 15 janvier par la police fédérale belge contre le repaire d’au moins trois jihadistes de la cellule dite « de Verviers » du nom de cette ville sans prétention, à quelques encablures de Liège. 55 000 habitants, près de 25% de chômage. Les occupants de la cache, originaires d’une commune limitrophe de Bruxelles et revenus récemment de Syrie, sont accusés d’avoir fomenté des attaques contre les forces de l’ordre. Deux d’entre eux sont morts dans l’échange de coups de feu, un troisième a été interpellé. D’autres perquisitions se sont déroulées le même jour dans d’autres villes du pays.
Trois semaines après, les fenêtres du 32, rue de la colline sont condamnées par des planches de bois. Les traces des scellées de police sont encore visibles et dans la cour, l’œil est attiré par un impact de projectile de la taille d’une balle de tennis.
La petite rue résidentielle, à deux pas de la gare, à 10 minutes de l’hôtel de ville, ne laisse rien présager. Stéphanie Riga habite deux étages au-dessus de la planque, elle avait croisé les occupants deux ou trois fois.
“Bien sûr jamais je n’aurais pensé qu’il y avait des terroristes en bas de chez moi », avoue-t-elle en ramassant son courrier dans la boîte aux lettres rudimentaire. La porte de l’immeuble, défoncée, ne ferme plus.
“C’est sûr qu’il y a des appartements de terroristes comme celui là ailleurs”, se résout la jeune fille.
Mais pas question pour elle de mettre tous les musulmans dans le même panier. Un autre voisin dit “les Marocains”, la frontière avec l’amalgame est moins nette dans son discours.
Cagoules, boucliers, mitraillettes…
Yannick Monaco habite juste en face, il a assisté à toute la scène depuis sa fenêtre. Alerté par les détonations, il a vu des flammes sortir de l’appartement. Il reste des traces noires, calcinées, à l’endroit où elles ont léché la façade. Quand les échanges de coups de feu se sont fait entendre il s’est éloigné des vitres avec ses frères et sœurs pour se protéger d’une éventuelle balle perdue. Plus tard le jeune homme a observé la police fédérale, la scientifique et les démineurs opérer. Cagoules, boucliers imposants, mitraillettes, gilets par balle : “tout le bazar”. Le matériel nécessaire à la fabrication d’explosif a été retrouvé sur place. Plus tard un corbillard est arrivé, il a emmené les corps.
“Une situation qu’on a l’habitude de voir à la télévision, traduit cet étudiant de 22 ans. Nous n’avions déjà pas une vision très agréable de Verviers. Après ce qui s’est passé on va déménager cet été.”
La famille va retourner habiter à la campagne qu’elle a délaissé il y a moins d’un an.
300 roses contre les amalgames
Depuis cette secousse disproportionnée, la cohésion sociale de Verviers, ville multiculturelle au passé industriel, en a pris un coup. “Vous venez pour l’opération anti terroriste bien sûr, s’amuse Karima, 56 ans. Pourquoi vous n’êtes pas venue en été quand il y avait du soleil ? Verviers c’est une belle ville vous savez.” On imagine l’eau qui coule dans la fontaine, des starlettes remontant bruyamment la courte rue piétonne et le ciel dégagé du gris cotonneux de l’hiver belge.
Des adolescents, qui se défendent bien d’être racistes, disent faire davantage attention quand ils sortent et ne plus fréquenter certains coins de la ville “où traînent les Marocains”.
“Ça fait 2 ans que je porte le voile, explique Karima sans se défaire de son grand sourire, je suis mal tombée. Avant les événements il y avait des gens qui nous tenaient la porte en sortant des magasins (aux femmes voilées NDLR), maintenant on se fait parfois bousculer exprès. Mais on n’ose rien dire.”
En réaction aux dérives islamophobes, une dizaine de femmes musulmanes a décidé de distribuer 300 roses dans le centre-ville pour lutter contre les amalgames grandissants. Un “message de paix, expliquait une des organisatrices interrogée par le quotidien La Meuse. Nous voulons apaiser les peurs et les tensions envers les musulmans.”
Un terreau du terrorisme
Plusieurs départs de combattants pour la Syrie ont marqué les esprits. L’image de la ville à l’extérieur est nettement écornée. Ce 14 janvier, à la veille de l’assaut, le journal local L’Avenir en parlait comme d’un « terreau du terrorisme ».
#verviers : la Une d’hier de @lavenirVV “Pourquoi notre région est un terreau djihadiste” par @FDestrebecq pic.twitter.com/5KGi4G9WSm
— Arnaud Wéry (@arnaudwery) 15 Janvier 2015
Mais pourquoi cette ville, comme Lunel en France, concentre-t-elle plus de radicalisation qu’ailleurs ? Un cadre socio-économique précaire certainement. Sa situation géographique peut-être : proche des frontières hollandaise et allemande et plus discrète que les voisines, Liège ou Bruxelles.
“Manifestement c’est un lieu de transit, concède le bourgmestre, Marc Elsen. Les membres de la cellule avaient probablement des contacts sur place. Il y a des foyers d’intégrisme à Verviers.”
Le démantèlement d’une filière, quand bien même les jihadistes présumés sont tous originaires de la région bruxelloise, n’a pas arrangé le tableau. Il a aussi attiré une nuée de journalistes étrangers. Dans l’élan des attentats de Charlie Hebdo, des médias japonais ou canadiens ont fait le déplacement. Beaucoup se sont rendus à Hodimont, un quartier sensible de la ville. “Alors qu’il ne s’y est rien passé”, souligne Isabelle Mawet, chargée de mission en matière de radicalisation au service de prévention de Verviers. Elle regrette l’escalade, presse locale et étrangère confondues :
” Parfois on ne se retrouvait pas dans ce qu’on lisait : ‘ah bon, c’est là qu’on travaille ?’. Quand je dis que je viens de Verviers dans des réunions fédérales au ministère de l’Intérieur on me regarde avec des gros yeux.”
L’effet “Cellule de Verviers” sur la cohésion sociale serait exagéré. Roxane Baguette, fonctionnaire de prévention :
« Il n’est pas remonté des intervenants sur les terrains le constat d’une crispation sur cet épisode. Oui, on en parle à Verviers mais ce n’est pas sur toutes les lèvres en permanence. Il n’y a pas de psychose autour du coup de filet. »
Depuis 2014, le terme de « radicalisation » s’est ajouté au “Plan stratégique de sécurité et de prévention”, impulsé par les services fédéraux. Mais les travailleurs sociaux insistent, ils s’attellent aux problématiques concernées, le racisme, la discrimination ou la précarité, de longue date.
« Il y a cinq jeunes verviétois qui sont partis, mais combien ne sont pas partis parce qu’on fait du bon boulot ? » soulève Roxane Baguette.
Photo d’en-tête : La gare de Verviers, dans l’est de la Belgique. Juliette Harau.