« La France prendra ses responsabilités, mais pas partout », a déclaré François Hollande lors de sa 5e conférence de presse. Si la France est rentrée en « guerre contre le terrorisme », elle n’est pas présente sur tous les théâtres où sévissent les groupes extrémistes jihadistes.
Elle combat Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et les autres organisations au Sahel avec l’opération Barkhane, elle opère un maintien de l’ordre en Centrafrique et elle est présente au sein de la coalition internationale contre l’organisation État islamique en Irak. Mais elle n’intervient que très peu dans la lutte contre Boko Haram.
La France s’est contentée d’organiser des sommets sur la sécurité autour de la menace et d’aider ponctuellement les pays impliqués: La force Barkhane a récemment mis en place une cellule de coordination et de liaison (CCL) dans laquelle les pays du lac Tchad peuvent partager leurs renseignements.
En début d’année, la France a envoyé des « instructeurs militaires » à Diffa, au sud du Niger. Dans sa conférence de presse du jeudi 5 février, le président François Hollande a révélé que l’Hexagone apportait également un soutien logistique aux pays en lutte contre Boko Haram, en fournissant carburant et munitions. Rien à voir, donc, avec l’ampleur des opérations Serval au Mali et Barkhane au Sahel.
L’organisation arbore pourtant tous les critères qui indignent l’Occident : un extrémisme religieux, la barbarie comme outil d’indignation, un grand pouvoir de nuisance et une haine de l’Occident (Boko Haram signifie « L’éducation occidentale est un péché » en langue haoussa, un dialecte d’Afrique de l’Ouest).
La secte religieuse, dirigée par Abubakar Shekau, s’est même attaquée à des ressortissants français à plusieurs reprises, notamment avec les prises en otage de la famille Moulin-Fournier et du père Vandenbeusch en 2013.
1. Le risque de « somalisation » moins présent au Nigeria qu’au Mali ou en Centrafrique
Malgré les massacres réguliers qui ensanglantent le nord du Nigeria, Boko Haram menace moins la stabilité des États dans lequel il sévit que le groupe État islamique ou Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les centres du pouvoir nigérian ou camerounais sont peu exposés, en dehors des risques d’attentat.
À l’inverse, le groupe État islamique a provoqué un effondrement partiel de l’Irak. De même, la coalition jihadiste qui s’est attaquée au Mali menaçait directement la capitale Bamako. Les interventions françaises en Irak, au Mali ou en Centrafrique visaient donc à éviter un effondrement de ces États.
Les pays du lac Tchad (Niger, Cameroun, Nigeria, Bénin, Tchad) possèdent par ailleurs une capacité de réponse armée au sein de l’Union africaine, grâce à une coalition de 7 500 soldats. Si la riposte n’est pas toujours adaptée, il s’agit surtout d’une force de dissuasion assez importante pour décourager les jihadistes de s’attaquer aux capitales des pays.
Ces forces armées contiennent la menace tant bien que mal. De ce fait, la France et l’Occident redoutent davantage les scénarios malien ou irakien, où les armées en déroute ont abandonné armes et matériels aux mains des jihadistes.
2. Boko Haram est en marge de l’internationale jihadiste
Malgré son discours, Boko Haram est encore guidé par un combat localisé et ne cherche pas à exporter sa guerre en Europe. C’est un mouvement hybride, un croisement entre une secte religieuse, une insurrection locale et un groupe criminel. Le mouvement s’appuie sur une population en marge totale de l’État, très pauvre, avec des taux de chômage chez les jeunes frôlant les 80%.
La corruption (le Nigeria est 136e sur 175 sur l’indice de corruption Transparency International) et la répression aveugle de l’armée sont les vrais moteurs du mouvement. « Le cœur de cible de Boko Haram, ce sont les forces de sécurité nigérianes et les « mauvais » musulmans, alors qu’Al-Qaida cible les Occidentaux » explique ainsi Marc-Antoine Pérouse de Montclos, chercheur à l’université Paris 8 et spécialiste du Nigeria, dans une interview au Monde.
3. Le Nigeria n’a pas demandé une intervention militaire occidentale sur son sol, contrairement au Mali
L’intervention française au Mali ou en Centrafrique s’explique aussi par l’histoire commune de ces pays. La France veut garder une responsabilité vis-à-vis de ses anciennes colonies.
Par ailleurs, l’intervention en Libye, poussée par la France, a libéré d’immenses quantités d’armes, qui étaient stockées au sud de la Libye et qui se sont retrouvées aux mains des groupes jihadistes. Et avec la mort du colonel Kadhafi, les populations Touareg ont repris leurs activités indépendantistes.
Contrairement au Mali qui a directement appelé la France à l’aide, le Nigeria se montre très soucieux de son indépendance. S’il accepte aujourd’hui un soutien étranger, il avait, en 2007, refusé l’installation d’une base de commandements des opérations militaires américaines en Afrique.
Car une opération étrangère provoque de facto une perte partielle de la souveraineté du pays, chose que le Nigeria refuse. Le chercheur Michel Galy, auteur en chef de l’ouvrage La guerre au Mali, comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombre, explique, dans une interview pour Mediapart à propos du Mali : « Il y a maintenant un gouvernement fantoche, un pouvoir qui est la marionnette de la France ».
Le Nigeria a par ailleurs la carrure pour gérer une telle crise. Pays le plus peuplé d’Afrique, 6e exportateur mondial de pétrole, c’est la première économie du continent.
4. Boko Haram ne menace pas les intérêts économiques occidentaux
Au delà d’une responsabilité, la France possède des intérêts, qui permettent d’expliquer en partie l’intervention ou la non intervention dans certaines régions. Le nord du Nigeria ne présente pas d’intérêt économique particulier. Le pétrole nigérian est situé plus au sud.
À l’inverse, la région au nord du Mali est riche en uranium. Au Niger, des mines comme Arlit sont exclusivement exploitées par Areva, dont l’État est actionnaire à 85%. L’uranium est une ressource stratégique pour l’Hexagone qui entend investir et sécuriser ses approvisionnements : au nord du Niger, Areva doit investir 2 milliards d’euros avant 2020 dans la mine d’uranium géante d’Imouraren.
Positionner des troupes dans la région permet d’assurer la sécurité des approvisionnements, mais aussi de peser sur des États en se rendant indispensable à leur sécurité. Cette politique, initiée par Charles de Gaulle, au lendemain des indépendances africaines avec « les accords de défense », se perpétue à moindre échelle aujourd’hui.
Photo d’en-tête : Un véhicule de défense aérienne à Bamako au Mali ( Flickr /