Carrure de colosse, le crâne rasé, Aït Mimoun pose son révolver Manurhin sur la table. « Quand on sort son arme c’est qu’il y a un danger vital immédiat », lance-t-il la voix grave. De danger, ce matin, il n’y en aura guère à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine). Dans les locaux de la police municipale de la ville, la routine s’installe et dans les couloirs tous les agents marchent le canon à la ceinture.
En Ile-de-France, Levallois-Perret fait figure de précurseur. Elle est la première commune de la région à avoir doté sa police municipale d’armes de poing. Une mesure mise en place dès 1983 par le maire UMP Patrick Balkany. Aujourd’hui, chaque agent est équipé d’un tonfa, d’une bombe lacrymogène et d’un révolver Manurhin à six coups.
Une formation exigeante
Aït Mimoun est l’un des deux formateurs de la police municipale de Levellois-Perret habilité et assermenté à former ses collègues au maniement des armes. Il a dû, durant six semaines en école de gendarmerie, faire ses preuves afin de pouvoir dispenser des séances de tir aux collègues de sa commune et d’autres villes. En règle générale, durant quinze jours, les agents municipaux se rendent en école de police pour y subir des tests psychotechniques et d’aptitudes à pouvoir être armés. Durant cette formation de 15 jours, la question de la procédure pénale est abordée : Pourquoi avoir une arme ? Comment s’en servir ? Dans quelles conditions ? La légitime défense est théorisée et doit être comprise. Puis il s’agit d’acquérir les bases techniques pour enfin se voir délivrer une autorisation de port d’arme agrée par le procureur et le préfet.
Les policiers municipaux doivent se soustraire à deux séances de tir obligatoires par an. Durant ces sessions, ils sont tenus de tirer au minimum 25 fois, soit 50 cartouches.
« Ce sont des mises en situation. C’est pas j’arrive, je tire. Il y a un respect des appuis au sol, de la position de tir, du maintien de l’arme, des réglages des organes de visées. Tout doit être respecté à la lettre.»
Sans compter les règles générales de sécurité dont l’acquisition est fondamentale. « Vous êtes sur un contrôle routier et vous avez un individu qui ne coopère pas. Vous sentez qu’il prépare quelque chose. Rien ne vous interdit de sortir votre arme et de le mettre en joue. Mais quand je vous parle de règles de sécurité, cela veut dire que lorsque vous le mettez en joue, c’est le doigt le long du pontet, jamais sur la détente. » Paradoxalement, les policiers municipaux s’exercent aux tirs plus souvent que leurs confrères de la police nationale.
La sécurité au premier plan
Pour Stéphanie, policière municipale à Levallois-Perret, le port d’une arme de poing est une évidence. Surtout pour elle qui a débuté sa carrière à Corbeil-Essonne (Essonne) dans une unité dépourvue de pistolet. « On fait partie de la force publique et de ce fait je trouve normal que le policier municipal soit armé. Cela doit faire partie intégrante de son équipement », affirme-t-elle avec force. « Hélas, les évènements l’ont montré, un policier reste un policier. Il n’ y pas de distinction entre municipal et national. »
Les agents locaux assurent une mission de protection publique à l’instar de leurs homologues nationaux. Dans la ville, les deux services travaillent de concert. Ainsi, les communications radio sont communes aux deux unités. « Lorsqu’on intervient et que nous sommes au-delà de nos prérogatives, on appelle l’OPJ (officier de police judiciaire, Ndlr). », explique Elvire Gasmi, directrice générale adjointe des services chargés de la sécurité publique et de l’inspection générale des services.
Bertrand Percie du Sert est adjoint au maire, délégué à la sécurité publique et à la police municipale. Pour lui c’est clair : « Notre choix est de protéger nos agents sur la voie publique avec un maximum de protection donc des armes, un gilet pare-balle et puis l’uniforme ». Selon lui, la politique de la ville en matière de prévention et de protection le justifie. Les évènements du mois de janvier ont conforté les autorités levalloisiennes de l’utilité d’une police locale dotée d’une force létale. Même si « en 28 ans d’existence, jamais un agent n’a eu à se servir de son révolver », souffle M. Percie du Sert.
Différence d’armement
Équipés pour la plupart de révolver Manurhin, les policiers municipaux français ne disposent pas des mêmes armes que leurs collègues nationaux. Ces derniers utilisent des pistolets semi-automatiques, avec des chargeurs dotés d’une capacité de 15 cartouches. « Le rechargement est plus rapide que sur un révolver et la capacité de tir est plus conséquente. De plus, la prise en main de l’arme est plus adaptée », analyse Aït Mimoun.
Pour palier à cela, Patrick Balkany, le maire de Levallois-Perret, compte prochainement déposer deux propositions de loi sur l’armement de la police municipale. La première laisserait le choix aux maires : armer les policiers municipaux ou de ne pas avoir de police municipale du tout. La seconde enjoint d’armer de manière identique policiers municipaux et nationaux.
Ce sujet est le cheval de bataille du Syndicat national des policiers municipaux (SNPM) qui se prononce en sa faveur. Le port martial, engoncé dans un duffle-coat sombre, Patrice Le Bail, membre du Conseil national du SNPM assène la position du syndicat sur la question : « Pour nous un maire qui donne des missions de police sans armer et sans protéger son personnel doit être attaqué pour mise en danger de la vie d’autrui. Il expose ses hommes à des risques ».
Le syndicat n’est pas convaincu par la récente annonce du gouvernement qui propose de mettre à disposition des communes qui le désirent, 4000 revolvers et 8000 gilets pare-balles à destination de leur police municipale. « Les gilets pare-balle ont été négociés sous le mandat de l’ancien ministre de l’Intérieur, Claude Guéant. Il n’y a rien de nouveau. Le gouvernement parle de 4000 armes mises à disposition mais le problème c’est qu’on est 14000 policiers municipaux », calcule M. Le Bail.
Tranquillité d’esprit
À Meaux (Seine-et-Marne), la police municipale, créée en 1993, est armée dès 1997 c’est-à-dire peu après l’arrivée de Jean-François Copé à la tête de la mairie. De 1996 à 1997, le taux de délinquance était de 107 faits délictueux pour 1000 habitants. Aujourd’hui, la ville se targue de 52,7 faits délictueux pour 1000 habitants. « La délinquance de voie publique a diminué de plus de 50 % », résume d’une voix calme Dominick Lemullois, directeur de la police municipale de Meaux. « Bien entendu, je ne fais aucun lien entre l’armement et la baisse de la délinquance. Ça n’a aucun lien. C’est la politique en matière de sécurité, de manière globale, qui est en est la cause », pondère le patron des « municipaux ».
« Je ne vois pas de problème dans le fait d’armer une police municipale. C’est un équipement comme un autre, sans vouloir banaliser le fait de porter des bombes lacrymogènes. Mais on s’aperçoit tout de même que les policiers sont plus sereins et moins inquiets ».
Un son de cloche qui résonne jusqu’à Levallois-Perret. « Quand je suis sur la voie publique je me sens plus en sécurité armé que non armé. C’est logique », note Aït Mimoun. Depuis les évènements de janvier, il estime que c’est « nécessaire ». « Le risque est plus accru. Ça peut se reproduire n’importe où, n’importe quand. Je pense à notre collègue tuée froidement de dos. Si son collègue avait été armé il aurait pu, peut-être, éviter la catastrophe qu’il y a eu juste après. Avec des « si » on refait le monde … », soupire-t-il.
Policier de seconde zone
Le décès de Clarissa Jean-Phillipe, policière municipale de Montrouge, tuée d‘une balle dans le dos par Amedy Coulibaly, a ravivé le débat sur la question de l’armement des forces de l’ordre territorial. Un serpent de mer que le meurtre d’Aurelie Fouquet, policière municipale, en 2005 à Villers-sur-Marne (Val de Marne), n’avait pas suffit à régler. À travers ces deux affaires c’est le statut du policier municipal qui est à chaque fois mis en exergue. Les hommes et femmes en bleu employés par la mairie semblent pâtir d’un manque de lisibilité sur leur rôle et leur place au sein des forces de l’ordre.
« Il y a encore cette image que la profession traine. Celle que l’ancêtre du policier municipal c’est le garde champêtre. Ce qui a tout bouleversé c’est la loi de Jean-Pierre Chevènement en 1999. Il a donné des pouvoirs supplémentaires aux municipaux et nous sommes devenus des policiers à part entière », explique Patrice Le Bail .
Il n’hésite pas à pointer du doigt un problème de perception vis à vis de la profession. À ses yeux, il est important de répéter que l’agent municipal est un policier comme les autres. « Dans l’esprit des gens, un policier municipal c’est pour faire traverser les enfants et surveiller les marchés.… ».
Une image caricaturale : la plupart des agents chargés de ce type de tâches sont des ASVP (Agent de surveillance de la voix publique). À terme, et sans législation en la matière, le principal risque est d’en arriver à une police municipale à deux vitesses craint Elvire Gasmy :« Vous avez des policiers armés et d’autres qui ne le sont pas. Vous allez voir qu’avec les récents évènements des agents vont choisir des villes où ils pourront être armés ».
Photo d’en-tête : Les policiers municipaux reçoivent une formation de 15 jours pour tester leur aptitude à être armés. (3millions7 / L. Mbembe)