Mercredi 7 janvier, quelques heures après l’attaque de Charlie Hebdo, la place de la République est noyée sous un flot humain. L’indignation, la tristesse et le deuil ont fait se réunir autour de la statue éponyme des dizaines de milliers de citoyens blessés. Les premières bougies sont allumées. Des banderoles sont dépliées. Les stylos sont levés.
Trois semaines plus tard, ce mercredi 28 janvier à la nuit tombée, il ne reste plus que quelques badauds qui tournent autour de la statue ou photographient les messages et les dessins qui se sont accumulés au fil des jours. Au milieu de cette ronde de regardeurs, quelques fourmis s’activent, armées de sacs poubelles, de scotch et de pochettes plastiques. Les membres du collectif « 17 plus jamais », 17 comme le nombre de morts lors des attentats de Paris et de Montrouge, sont réunis pour entretenir les hommages déposés en l’honneur des victimes et de la liberté.
“Venez m’aider’
Ils sont environ « 7 ou 8 » à venir régulièrement pour « plastifier les messages, rallumer les bougies, passer le balai, nettoyer et gratter les graffitis qui n’ont rien à voir », selon Sabrina, qui est à l’origine du collectif. Ce soir, en plus de Sabrina et Rémy, qui est aussi l’un des fondateurs de « 17 plus jamais », quatre autres paires de main s’activent pour protéger toutes ces marques d’émotions, pour les abriter des dégâts du temps et de la météo.
Coiffée d’un chapeau noir, sur lequel sont accrochés des boutons traversés par une épingle à nourrice — signe du collectif — Sabrina raconte avec énergie comment celui-ci est né :
« Je revenais de l’hommage aux policiers et je me suis arrêtée à République. Il y avait des sacs de McDo, des mouchoirs. Il pleuvait et les messages prenaient l’eau. Sur ordre de la Mairie, les employés de la Voirie étaient en train de nettoyer les îlots sur la place. J’ai tout rapatrié sur la statue et j’ai gueulé ‘venez m’aider’.»
Depuis, ce cri du cœur s’est transformé en collectif. Une page Facebook a été créée et des rassemblements réguliers ont lieu, les mercredi et vendredi à 18 heures, ainsi que les dimanche à 15 heures. « On ne demande pas d’argent. Juste de prendre un peu de temps, de venir avec des pochettes en plastique et du scotch. Même si c’est juste cinq minutes pour rallumer des bougies. Les petites choses mises bout à bout, ça marche », affirme la jeune femme.
Et maintenant ?
Surtout quand ces petites choses permettent de conserver l’esprit de l’« après-Charlie », de ne pas oublier. Louise-Anne, qui est là pour la première fois, s’est arrêtée en sortant du travail. À une époque où « on avance très vite et on zappe », cette cadre estime que « ce mouvement beau et fort a été capable de nous redresser » et qu’il « ne faut pas que ça retombe ». Prendre des gants, remettre les bougies dans des bocaux, ou protéger les dessins, c’est aussi un moyen pour certains de répondre à la question du « et maintenant? ».
« Qu’est-ce que le mouvement va devenir ? Qu’est-ce qu’on va faire de concret ? J’ai eu la réponse en écoutant la radio ce matin et en entendant parler de l’initiative », explique Anaïs, une étudiante de 24 ans qui venait aussi pour la première fois.
D’autres aides extérieures ont été apportées au collectif. Les employés de la voirie leur ont donnés des sacs poubelles et des balais, qu’ils stockent place de la République pour ceux qui voudraient venir nettoyer en-dehors des rassemblements organisés.
Pour le moment, « 17 plus jamais » ne sait pas encore s’il va pouvoir continuer à prendre soin des lieux ou si la Mairie va reprendre la main. Un rendez-vous avec Anne Hidalgo, maire de Paris, est prévu dans les prochains jours. Rémy espère que la suite « sera choisie par un processus démocratique ».
“Je n’ai pas envie que ça disparaisse”
En cette froide soirée du 28 janvier, il y a un problème plus urgent à régler : celui de l’eau qui s’accumule sur les dalles de la statue. Avec des raclettes, les membres du collectif essayent de la pousser vers les évacuations. Tout en continuant à s’activer, Nicolas nous confie d’un air timide :
« Je n’ai pas envie que ça disparaisse. J’ai peur que ça disparaisse. Que les gens oublient. »
Si l’oubli se dépose peu à peu sur les drames de janvier, comme la fine flaque d’eau recouvre une partie du socle de la statue, il reste une poignée de résistants à République pour tenter de le repousser.
Légende : Sabrina a créé le collectif “17 plus jamais” pour entretenir les hommages déposés place de la République (Photo : 3 millions7 / P.Robert)