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Journaliste de demain, plusieurs voies pour une ambition commune

alice

Qu'elle soit précoce ou tardive, qu'elle surgisse après la lecture d'un récit singulier, un burn-out professionnel ou sur les bancs de l'université, la vocation journalistique des derniers représentants de la génération Y est le fruit d'une passion emprunte de réalisme.

Pla­quer une future car­rière de sportif pro­fes­sion­nel pour revenir sur les bancs de l’é­cole. Julien est passé du dis­cours aux actes.
« Il y a deux ans encore, j’ignorais qui était Bachar Al-Assad. Seul le rug­by m’intéressait». Pen­sion­naire du cen­tre de for­ma­tion du club de Greno­ble, le fils et petit-fils de joueur inter­na­tion­al avait un seul objec­tif : devenir pro­fes­sion­nel. Un rêve de gosse pour le demi d’ou­ver­ture. « Au début, c’était génial. Nous man­gions rug­by, viv­ions rug­by, comme les joueurs qu’on voit à la télé… ». Julien fait par­tie aujour­d’hui des cinquante-et-uns élèves de la 71e pro­mo­tion du Cen­tre de For­ma­tion des Jour­nal­istes (CFJ). 

Pourquoi (dia­ble) Julien a‑t-il plaqué cette promet­teuse oppor­tu­nité de car­rière, pour se tourn­er vers le jour­nal­isme, pire méti­er de 2016 selon l’étude de Careercast.com ? Les trois reporters améri­cains en charge de l’é­tude ont retenu qua­tre critères  — l’en­vi­ron­nement, le salaire, les per­spec­tives d’évo­lu­tion et le stress — pour dress­er ce classe­ment. Sans même par­ler de l’image peu glo­rieuse que nom­bre de ses conci­toyens ont de cette pro­fes­sion, la con­clu­sion avancée dans l’étude du site Inter­net dépeint un tra­vail rude et stres­sant, promesse de pré­car­ité et d’une rémunéra­tion loin d’être mirobolante. Une réal­ité con­jonc­turelle qu’aucun étu­di­ant n’ignore mais que cha­cun entend atténuer avec une pas­sion et un goût inaltérables pour ce métier.

Julien avait con­sacré une quin­zaine d’an­nées au monde de l’O­va­lie. Au pen­sion­nat, c’est sa vie qu’il y dédi­ait. « Puis avec le temps, sans que je ne puisse l’expliquer, la pas­sion s’est amenuisée. J’éprouvais le besoin de décou­vrir autre chose ». Le début d’une longue tra­ver­sée du désert, ryth­mée par la déprime et les remis­es en ques­tion. « J’étais au fond du seau, j’avais l’impression de ne plus être à ma place », déclare avec lucid­ité Julien. L’éclaircie vint au cours du vision­nage d’un reportage sur le con­flit syrien, dif­fusé sur BFMTV. Le comble pour un novice en matière d’information. « De manière sur­prenante, cet épisode a mar­qué le début de mon intérêt pour l’actualité », lâche Julien.

Géopoli­tique, économie, les cen­tres d’intérêt s’ac­cu­mu­lent pour le néo­phyte qui s’empresse d’embarquer ses coéquip­iers dans cet élan. « L’expérience a été très pos­i­tive. J’ai réus­si à les intéress­er à des domaines qui leur étaient a pri­ori étrangers. Je ne pen­sais pas pren­dre autant de plaisir. Jamais le rug­by ne m’avait ren­du aus­si heureux. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir jour­nal­iste», se félicite le Savoyard.

L’at­trait d’Em­manuelle pour le jour­nal­isme se situe aux antipodes de l’in­térêt né sur le tard dans l’e­sprit de Julien. Cette nou­velle parte­naire estu­di­antine, parisi­enne de nais­sance, s’est intéressé au méti­er dès ses cinq ans. La graine germe à la lec­ture du Jour­nal de Ma Yan, la vie d’une écol­ière chi­noise. Le jour­nal­iste Pierre Has­ki avait rédigé les présen­ta­tions des ver­sions pour adultes et pour enfants de ce livre-hom­mage. « Je décou­vrais l’histoire d’une petite fille […] qui se déme­nait pour aller à l’école et appren­dre, alors que moi ça me fai­sait râler », avoue Emmanuelle.

Depuis quand voulez-vous devenir journaliste ?« J’étais choquée dans mon con­fort de petite parisi­enne bien à l’abri », se rap­pelle “Emma”. Ce choc cul­turel mar­que un tour­nant pour la petite fille qui sent naître une « envie de témoign­er sur ce qu’il se passe dans le monde ». En mul­ti­pli­ant les expéri­ences, notam­ment pro­fes­sion­nelles, Emmanuelle n’a alors cessé de faire mûrir ces aspirations.

L’émergence du pro­fil atyp­ique, une vaste hypocrisie ?

La volon­té d’ouverture défendue par la direc­tion du CFJ se heurte à une rigid­ité philosophique dans les rédac­tions. C’est en tout cas le con­stat dressé dans le pam­phlet pub­lié en 2011 sur le site de l’IJBA par Ludi­vine Tomasi, anci­enne pen­sion­naire de l’école bor­de­laise de jour­nal­isme. La jour­nal­iste y dénonce « la grande hypocrisie » des poli­tiques de diver­sité. « Sor­tir de ” l’effet con­cours “, c’est aus­si lancer des ini­tia­tives pour dés­in­hiber cer­taines couch­es sociales qui pensent que ces études ne sont pas faites pour eux. En amont du recrute­ment, il s’agit donc de con­tre­car­rer cette forme d’au­to­cen­sure », insiste Ludi­vine Tomasi qui se présente aus­si comme sociologue.

Ugo s’est dépar­ti de ce con­stat ou bien n’en a cure. Le Haut-Alpin a délais­sé ses bâtons de moni­teur de ski de fond pour inté­gr­er le CFJ. « Mon attrait pour le jour­nal­isme s’est man­i­festé au lycée. Avant qu’une pro­fesseure de français ne me con­seille de trou­ver quelque chose ” qui me cor­re­sponde tout de même un min­i­mum ” », racon­te Ugo. Ses trois années passées en STAPS reflè­tent ce blocage psy­chologique né de cette remar­que assas­sine. Le désir de se lancer dans le jour­nal­isme ressus­cite au sor­tir de la licence avec l’aide… d’une autre pro­fesseure de français. Une femme qui le coachera durant un an pour pré­par­er les con­cours d’entrée en école de jour­nal­isme passés au print­emps 2016. Ugo était loin de s’imag­in­er qua­tre mois plus tard entre les qua­tre murs d’une école de journalisme.

Au sein de la pro­mo­tion 2016–2018 du CFJ, l’ex-professeur de ski de fond fait par­tie des six étu­di­ants « orig­in­aux » issus de cur­sus peu représen­tés (caté­gorie « Autre » du graphe) sur les cinquante-et-uns étu­di­ants. La sin­gu­lar­ité de leur par­cours est loin de les mar­gin­alis­er au regard des « seule­ment » quinze diplômés de sci­ence poli­tique retenus cette année par la direc­tion de l’É­cole. Cette dernière fil­ière, qui se voulait qua­si-oblig­a­toire pour inté­gr­er une école recon­nue, reste la plus pour­voyeuse en nom­bre d’étudiants.Répartition de la promo selon les cursus desquels les étudiants sont issus

Mar­i­on, une Bor­de­laise instal­lée à Paris pour ses études, est, elle, passée entre les gouttes de la cen­sure. Son entourage a fait preuve de bien­veil­lance sur l’in­térêt de Mar­i­on pour les métiers liés à l’écri­t­ure. Tous, sauf un : son oncle, lui-même écrivain, jugeait cette pro­fes­sion « non crédi­ble ». « Mais qu’est-ce que tu as envie de faire comme vrai méti­er ? », insiste ce par­ent face à une fille de huit ans. En l’absence de l’expérience et de la hau­teur de vue néces­saires à la con­sti­tu­tion d’un juge­ment sur ces mots, Mar­i­on les encaissa.

La per­sévérance de ses intérêts, sa curiosité insa­tiable et un sens de l’initiative pronon­cé, mènent l’adolescente à réha­biliter, con­solid­er et mûrir son ambi­tion ini­tiale. Les recherch­es et les stages lui font oubli­er les tares du méti­er. Emmanuelle y trou­ve son équili­bre à tra­vers des ren­con­tres, des appren­tis­sages, et une exi­gence stimulante.

Un cock­tail de pro­fils pour une voca­tion commune

Ces par­cours éma­nent de racines var­iées sur les plans émo­tion­nel, édu­catif et social. Tous se retrou­vent et se fondent en un seul terme : voca­tion. Les ren­con­tres et les décryptages émer­gent des desider­a­ta des nou­veaux étu­di­ants en école de journalisme.

Nuages de motPour Julien, le rug­by­man recon­ver­ti qui espère cou­vrir des théâtres de guerre, le jour­nal­isme est un engage­ment. « Quiconque devient sol­dat se lie à une mis­sion, qu’il se doit d’accomplir. Il en va de même dans le jour­nal­isme, et pour rien au monde je ne me détourn­erais des respon­s­abil­ités qui peu­vent s’offrir à moi », assure-t-il. Pour Julien, « c’est un besoin de vivre cela ».

Le par­cours de William Plum­mer, étu­di­ant au Cen­tre de For­ma­tion et de Pro­fes­sion­nal­i­sa­tion des Jour­nal­istes (CFPJ), se présente comme une source de moti­va­tion pour les per­son­nes attirées par ce méti­er qui n’osent s’y lancer. Déten­teur d’un bac­calau­réat tech­nique — STMG — et d’un bac­calau­réat en compt­abil­ité, l’habi­tant de Saint-Ger­main en Laye s’est tourné vers le jour­nal­isme au sor­tir d’une expéri­ence semée d’embûches en troisième année de licence d’é­conomie. « Le con­cours du Monde, qui per­me­t­tait à des jeunes intéressés par le jour­nal­isme de “piger” pen­dant un an (vingt arti­cles pub­liés entre sep­tem­bre 2013 et juin 2014, ndlr), est tombé à pic. J’ai cou­plé cette expéri­ence pro­fes­sion­nelle avec une pré­pa­ra­tion aux con­cours pro­posée par la Chance aux con­cours », se sou­vient William Plum­mer. Le jeune jour­nal­iste se voit pro­pos­er un con­trat de pro­fes­sion­nal­i­sa­tion de deux ans au sein de la rédac­tion du Figaro.fr en jan­vi­er 2015. William Plum­mer est embar­qué depuis le mois de mars dans une nou­velle aven­ture pro­fes­sion­nelle avec la créa­tion d’une équipe dédiée à la ges­tion jour­nal­is­tique de l’ap­pli­ca­tion mobile. Avec un con­trat à durée indéter­minée signé avant même la fin de son apprentissage.

Témoignage audio de Del­phine, étu­di­ante en pre­mière année au Cen­tre de For­ma­tion des Journalistes

À l’approche des 70 ans du CFJ, ce n’est pas Ruth Elkrief, de la pro­mo­tion 1984, qui se met­trait en tra­vers du demi d’ou­ver­ture pour con­tredire ses pro­pos. La jour­nal­iste à la tête du 19h Ruth Elkrief dif­fusé quo­ti­di­en­nement sur la chaîne d’in­for­ma­tion en con­tinu BFM TV, aspi­rait à tout autre méti­er avant d’in­té­gr­er l’é­cole de la rue du Lou­vre. « Je voulais être agent secret. […] Ce qui ressem­blait le plus à agent secret c’était le jour­nal­isme. J’avais dix ans. Je n’ai jamais dévié depuis. C’est une vraie voca­tion ». Ecrire un tel papi­er sur les moti­va­tions pour pra­ti­quer ce méti­er peut se résumer à une amorce d’en­quête poli­cière pour attein­dre l’en-but.


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