Politique

Avant le premier tour, le FN n’était déjà pas le “premier parti de France”

À trois jours du premier tour des élections départementales, le Front national fait la course en tête dans les sondages. De quoi alimenter le discours de Marine Le Pen, qui se voit présidente du "premier parti de France". L'affirmation ne résiste pourtant pas à un examen approfondi de la situation du parti d'extrême droite.

Les sondages sont unanimes. À deux jours du pre­mier tour des élec­tions départe­men­tales, le Front nation­al est en tête des inten­tions de vote. Selon une enquête Ifop pub­lié par Le Figaro, 30% des électeurs comptent gliss­er un bul­letin fron­tiste dans l’urne ce dimanche, con­tre 29% pour l’UMP. Le Par­ti social­iste est dis­tancé, avec 16% d’intentions de vote.

De quoi don­ner crédit à la thèse d’un Front nation­al “pre­mier par­ti de France” ? Marine Le Pen et ses lieu­tenants revendiquent ce statut depuis les élec­tions européennes de mai 2014, qui ont vu son par­ti arriv­er large­ment en tête. “Dans les années 70, le Par­ti social­iste l’affirmait égale­ment, tout comme l’UMP au moment de sa créa­tion”, note Frédéric Dabi, directeur du Départe­ment d’Opin­ion de l’Ifop. “Dans le cas du Front Nation­al, cela devient un vrai slo­gan. C’est une arme con­tre la dia­boli­sa­tion et un moyen de se dif­férenci­er de l’UMP et du PS”.

Affiche officielle du Front national.
Affiche offi­cielle du Front national.

Mais cet élé­ment de lan­gage résiste mal à un exa­m­en appro­fon­di de la sit­u­a­tion du FN. Si le par­ti agrège un nom­bre crois­sant d’électeurs, son nom­bre d’élus demeure faible, résul­tat de l’isolement poli­tique de l’extrême droite en France. Réal­ité du vote fron­tiste, nom­bre d’élus et de mil­i­tants : 3Millions7 fait le point sur le véri­ta­ble poids du Front national.

1. Un poids électoral croissant mais minoritaire

Le 26 mai 2014, le Front nation­al arrivait en tête aux élec­tions européennes avec près de 25% des voix, loin devant l’UMP et le PS. Ce jour là, près de 5 mil­lions de Français dépo­saient un bul­letin FN dans l’urne, con­tre un peu plus d’un mil­lion en 2009.

Une poussée indis­cutable… mais rel­a­tive. Les Français boudent tra­di­tion­nelle­ment ce scrutin. Avec un taux d’abstention de 57%, la cuvée 2014 n’a pas échap­pé à la règle. “Seuls 10% des inscrits ont don­né leur voix au Front nation­al”, souligne le poli­to­logue Alexan­dre Dézé.

“L’électorat FN est aujourd’hui le plus mobil­isé, ani­mé d’une forte volon­té de sanc­tion­ner le pou­voir en place. L’abstention lui prof­ite”, renchérit Frédéric Dabi.

Un scé­nario qui pour­rait bien se répéter au pre­mier tour des élec­tions can­tonales, sous la men­ace d’une absten­tion record.

Fort dans les scruti­ns délais­sés par les Français, le FN ren­tre dans le rang dans les élec­tions à forte par­tic­i­pa­tion. En témoigne les 9 et 11 points de retard accusés par Marine Le Pen sur Nico­las Sarkozy et François Hol­lande lors du pre­mier tour de la dernière élec­tion prési­den­tielle, où la par­tic­i­pa­tion dépas­sait les 80%. Une ten­dance con­fir­mée à l’oc­ca­sion des dernières élec­tions lég­isla­tives, où se sont déplacés plus de 55% des électeurs. “Voir le FN noyé par les résul­tats des autres par­tis est l’e­spoir du camp répub­li­cain pour 2017”, assure Frédéric Dabi.

2. Un faible nombre d’élus

En 2014, le FN a envoyé 24 de ses représen­tants au Par­lement européen, un record. “C’est une élec­tion pro­por­tion­nelle à un tour, qui lui est favor­able”, tem­père Fréder­ic Dabi. En France, le scrutin majori­taire à deux tours reste la règle. Et c’est juste­ment ce sec­ond tour qui pose prob­lème au par­ti d’ex­trême droite.

Les chiffres sont têtus : le Front nation­al compte deux députés sur 577, dirige 10 mairies sur 36.000 com­munes et ne dirige aucune région ou départe­ment, mal­gré des résul­tats hon­or­ables au pre­mier tour de ces élections.

 

Doubs, Vil­leneuve-sur-Lot, Oise, Aube : plusieurs lég­isla­tives par­tielles ont opposé le FN à l’UMP ou au PS depuis 2012. À chaque fois, le can­di­dat fron­tiste a échoué à franchir la barre fatidique des 50%. Un vrai casse-tête pour Marine Le Pen. “Le Front nation­al se heurte à un pla­fond de verre” souligne Fréder­ic Dabi.

“Comme le dis­ait Charles Pasqua, on choisit au pre­mier tour et élim­ine au sec­ond. Il y a une logique d’élim­i­na­tion face au FN”.

Isolé poli­tique­ment et sans réserve de voix suff­isantes au sec­ond tour, le par­ti demeure un éter­nel final­iste. Pour gag­n­er ce type de scrutin, le FN doit s’en remet­tre aux tri­an­gu­laires. C’est dans cette con­fig­u­ra­tion qu’ont été élus les députés Gilbert Col­lard et Mar­i­on Maréchal-Le Pen en 2012.

Les vic­toires du FN dans des duels se comptent sur les doigts d’une main. Seules deux des onze mairies FN ont été gag­nées hors tri­an­gu­laire. Enfin, le can­ton de Brig­noles a été rem­porté en octo­bre 2013 par le can­di­dat fron­tiste Lau­rent Lopez face à l’UMP Cather­ine Delz­ers. Une vic­toire qui fait de lui le seul con­seiller départe­men­tal FN. Dif­fi­cile dans ces con­di­tions de s’au­to­proclamer “pre­mier par­ti de France”.

Seule éclair­cie dans ce ciel som­bre, le Front nation­al pro­gresse désor­mais entre le pre­mier et le sec­ond tour de ces élec­tions, ce qu’il a longtemps échoué à faire. Dans la par­tielle du Doubs, Sophie Mon­tel est ain­si passée de 32% à plus de 48% des voix entre les deux tours de scrutin.

Enfin, le par­ti développe son assise locale dans les régions et les com­munes où le scrutin de liste lui offre plusieurs sièges. Mais là encore, l’UMP et le PS tien­nent le par­ti à distance.

3. Des adhérents en hausse mais…

Dif­fi­cile de con­naître pré­cisé­ment le nom­bre d’ad­hérents des grandes for­ma­tions poli­tiques. Les par­tis, qui ne sont soumis à aucune oblig­a­tion de trans­parence, gar­dent la maîtrise dans la com­mu­ni­ca­tion de leurs chiffres.

En octo­bre dernier, le Front nation­al annonçait avoir mul­ti­plié par douze le nom­bre de ses adhérents depuis 2007, pas­sant de 7 000 à plus de 83 000 mem­bres. La hausse est spec­tac­u­laire mais ne per­met pas au FN de rat­trap­er son retard sur ses concurrents.

L’UMP comp­tait ain­si en juin dernier 170 000 adhérents à jour de leur coti­sa­tion, selon Le Parisien. Le Par­ti Social­iste revendi­quait lui 160 000 mil­i­tants en sep­tem­bre 2014.

4. Des ressources financières limitées

C’est la con­séquence directe du faible nom­bre d’élus fron­tistes. Le finance­ment pub­lic des par­tis poli­tiques est indexé sur leurs résul­tats aux élec­tion lég­isla­tives et leurs nom­bre de par­lemen­taires. Avec 2 députés, 2 séna­teurs et 3,66% de suf­frages aux dernières lég­isla­tives ( soit près de 850 000 voix), le FN ne sou­tient pas la com­para­i­son avec les par­tis de gouvernement.

Autre lim­ite, les coti­sa­tions des adhérents et con­tri­bu­tions des élus pèsent moins qu’à l’UMP et au PS. Là encore, le par­ti paie le prix d’un ancrage local insuffisant.

Pho­to d’en-tête :  Pan­neaux élec­toraux pour les élec­tions départe­men­tales du can­ton de Pouil­ly-sur-Loire, dans la Nièvre (François Goglins)