Monde

La culture et les jihadistes, une longue histoire de désamour

François Hollande se rend aujourd'hui au département des antiquités orientales du musée du Louvre à Paris. Une visite symbolique destinée à condamner à nouveau les destructions d'oeuvres d'art par le groupe Etat islamique. En février dernier, le musée de Mossoul et le site de Nimroud avaient subi les ravages des islamistes. Et ce n'était pas une première.

(Arti­cle pub­lié le 27 févri­er, actu­al­isé le 18 mars)

Une insouten­able bar­barie “, une part de l’e­sprit humain et de l’u­ni­versel qui s’écroule, “une tragédie cul­turelle”… Les réac­tions indignées se sont mul­ti­pliées après la destruc­tion méthodique d’antiquités au musée de Ninive, à Mossoul (Irak) par des mem­bres du groupe État islamique en févri­er. Des stat­ues, des fris­es ou encore d’imposants élé­ments d’architecture ont été pris pour cible et détru­its à coups de mass­es et de marteaux piqueur.

Dans la vidéo dif­fusée par les ter­ror­istes, un homme explique leur geste : “Ces sculp­tures der­rière moi sont des idol­es pour les peu­ples d’autre­fois qui les ado­raient au lieu d’ador­er Dieu ».

Quelques jours plus tard, les ruines assyri­ennes de Nim­roud, en Irak, sont elles aus­si vic­times des jihadistes. Avec un bull­doz­er, ils ont com­mencé jeu­di 5 mars à détru­ire ce joy­au archéologique. Les archéo­logues craig­nent que la ville d’Hatra, qui est inscrite au pat­ri­moine de l’UNESCO, soit la prochaine cible du groupe État islamique.

Depuis 2001 et la fat­wa du mol­lah Omar, le pat­ri­moine cul­turel non-islamique est en dan­ger. A l’époque, le chef des tal­ibans afghans avait estimé qu’il fal­lait détru­ire les « idol­es » et toutes les formes d’art con­traires à la Charia (loi islamique). Les destruc­tions de Mossoul sont donc les dernières en date, mais elles sont loin d’être les premières.

Les “Bouddhas de Bamiyan”, premier choc international

Mars 2001, le monde s’horrifie. Les tal­ibans rasent minu­tieuse­ment un sym­bole du pat­ri­moine afghan : les « Boud­dhas de Bamiyan », réal­isés au Vème siè­cle, mélangeant influ­ences grecque et boud­dhiste. Les défenseurs du pat­ri­moine mon­di­al mon­tent au créneau, appuyés par les médias qui relayent la jus­ti­fi­ca­tion avancée par les islamistes : ils ne pou­vaient pas per­me­t­tre la vue de ces stat­ues con­traires à la Charia aux musul­mans du monde entier.

L’explication poli­tique de ce geste est passée sous silence, tout comme la moti­va­tion finan­cière. Pour l’historien Jean-François Sch­no­er­ing, un coup d’œil sur la sit­u­a­tion poli­tique intérieure de l’Afghanistan per­met de com­pren­dre que ce geste est un acte de repré­sailles con­tre les Hazârats, habi­tants de la région de Bamiyan, opposés aux talibans.

 

 

Il est aus­si impos­si­ble pour les tal­ibans, pour qui le traf­ic d’œuvre d’antiquité est une source de rev­enue impor­tante, de ven­dre des œuvres d’art de 38 mètres de haut en un seul morceau. En revanche, une fois réduites en pièces, des trans­ac­tions sont pos­si­bles. C’est ain­si que des petits bouts des « Boud­dhas de Bamiyan » se sont retrou­vés dans les galeries européennes.

“Allah n’aime pas” les mausolées de Tombouctou

En 1988, Tombouc­tou (Mali) est inscrite au pat­ri­moine mon­di­al de l’UNESCO, notam­ment pour ses mau­solées de saints musul­mans. En 2012, la ville « aux 333 saints » tombe aux mains des islamistes d’Ansar Dine, dont le respon­s­able déclare : “Il ne va pas rester un seul mau­solée à Tombouc­tou, Allah n’aime pas ça, nous allons cass­er tous les mau­solées cachés dans les quartiers”. En moins de six mois le prob­lème est réglé, les mau­solées sont détru­its à coups de mass­es et à grands ren­forts de “Allah Akbar”.

Mais à peine les jihadistes par­tis, la pop­u­la­tion s’est mobil­isée et grâce à l’aide inter­na­tionale, les Maliens ont entre­pris de recon­stru­ire leurs lieux de culte.

La Syrie saccagée et pillée

Le musée de Mossoul n’est pas la pre­mière cible cul­turelle du groupe Etat islamique en Syrie. Le pays est peu acces­si­ble pour les insti­tu­tions cul­turelles inter­na­tionales chargées de la préser­va­tion du pat­ri­moine comme l’UNESCO. Il est donc dif­fi­cile de faire un état des lieux pré­cis, mais des asso­ci­a­tions syri­ennes se mobilisent. Via inter­net, elles dénon­cent les saccages des jihadistes, notam­ment dans le musée de Deir Ezzor, ville sous con­trôle du groupe Etat islamique.

 

 

Mais en Syrie, comme cela avait été le cas en Irak et en Afghanistan, les jihadistes ne détru­isent pas tou­jours les antiq­ui­tés. Lorsqu’elles sont facile­ment trans­porta­bles, ils se livrent à un juteux traf­ic. Quand le site romain d’Apamée est retourné au trac­topelle, ce n’est pas pour le détru­ire pure­ment et sim­ple­ment, mais pour en excaver des objets qui pour­ront se reven­dre sur le marché de l’art occidental.

Le site romain d'Apamée. (Images satellitaires)
Le site romain d’A­pamée. (Images satellitaires)

 

Une bombe dans le mausolée de Jonas

En juil­let dernier, Mossoul a déjà été prise pour cible par les jihadistes. Cette fois, c’est la tombe du prophète Jonas qui a été réduite en cen­dres. Le Coran a beau racon­ter l’histoire de Jonas, le groupe Etat islamique a estimé que ce sanc­tu­aire n’était plus un lieu de prière, mais un lieu d’apostasie. Une bombe a donc été posée dans le mau­solée, pour le faire exploser.

La défla­gra­tion a endom­magé tout le voisi­nage, mais les jihadistes, dans leur grande man­sué­tude, avaient pris soin de deman­der à la pop­u­la­tion d’évacuer le quartier.

Pho­to : Cap­ture d’écran de la vidéo de pro­pa­gande de l’É­tat islamique