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La « kalach », un succès à la française

La circulation illégale des armes vers la France a explosé dans les années 1990. Résultat : la kalachnikov s'invite à Paris, à Lyon et à Marseille dans les milieux criminels et terroristes. Retour sur le parcours de la fameuse AK 47, utilisée le 7 janvier lors des attentats de Paris.

De Bel­grade à Paris, Mar­seille et Lyon, la kalach­nikov voy­age en toute illé­gal­ité et enri­chit les trafi­quants. 250 euros sans crosse, 300 avec, l’AK 47 est dev­enue une référence, le com­pagnon fidèle des petits voy­ous, grands caïds et appren­tis « terroristes ».

Peu chère, mani­able et effi­cace, elle est omniprésente dans le milieu crim­inel français. Régulière­ment util­isée dans les règle­ments de compte et braquages, elle a été util­isée par les frères Kouachi lors des atten­tats de Char­lie Heb­do. Mais com­ment le célèbre fusil d’assaut russe, pro­duit depuis plusieurs décen­nies en Europe de l’est, a‑t-il pu si bien s’ex­porter sur le ter­ri­toire français ?

Selon les douanes français­es, près de 15% des armes en cir­cu­la­tion sur le ter­ri­toire français en 2014 (30 000 au total) étaient des fusils d’as­saut de type kalach­nikov (du nom de son inven­teur russe), essen­tielle­ment en prove­nance des Balkans.

Stocks de l’armée soviétique

La cir­cu­la­tion illé­gale des armes vers la France a explosé dans les années 1990. Un afflux mas­sif provo­qué par l’effondrement de l’URSS et le pil­lage des arse­naux de l’ar­mée albanaise après l’ef­fon­drement du pays en 1997. Des mil­liers de AK 47 ont été écoulées par les sol­dats con­tre quelques cen­taines de dol­lars et ont été payées rubis sur l’ongle. A l’époque, les vieilles kalach­nikov, pour la plu­part neu­tral­isées, ont été récupérées par les trafi­quants d’Europe de l’est, ravis de pou­voir ali­menter le marché noir européen.

Les trafi­quants des Balka­ns ont lancé de vastes opéra­tions de “remil­i­tari­sa­tion” des armes sovié­tiques pour leur offrir une deux­ième vie. Culass­es, canons et chargeurs… les kalach­nikov ont été remis­es en état de marche et achem­inées près de la fron­tière européenne, où les passeurs organ­isent des con­vois pour les faire ren­tr­er dans l’Espace Schen­gen ou dans l’Union européenne. “La plu­part du temps par voiture, et sur les points de pas­sage les moins con­trôlés, notam­ment à la fron­tière croate”, explique un mem­bre de la DGPN, qui a souhaité préservé l’anonymat.

Kalashnikov / Crédits R.BLa péné­tra­tion de l’espace européen est l’étape cru­ciale pour les trafi­quants. Une fois intro­duite, la kalach­nikov est capa­ble de franchir les fron­tières grâce à la lev­ée des con­trôles douaniers intra-européens. « Sur le ter­ri­toire européen, les trafi­quants qui trans­portent une dizaine d’armes peu­vent pro­gres­sive­ment pass­er les fron­tières jusqu’à attein­dre la France », explique la même source.

Des dépôts en Italie et Belgique

Les routes sont priv­ilégiées pour trans­porter clan­des­tine­ment ces armes faciles à dis­simuler. « Une aubaine depuis l’in­stau­ra­tion de la libre cir­cu­la­tion des biens et des per­son­nes », selon un polici­er. Les trafi­quants sont organ­isés en réseaux, avec des grossistes aux fron­tières et une dias­po­ra balka­nique très active jusqu’à la France. Les armes sont stock­ées dans des réserves et des dépôts, notam­ment en Ital­ie et en Bel­gique. Elles sont achem­inées en fonc­tion des besoins des trafi­quants français de cig­a­rettes et de drogues, qui cherchent à pro­téger leur busi­ness dans les cen­tres urbains et les banlieues.

“Serbes, Koso­vars, Albanais, ce sont les meilleurs” (une source à la Direc­tion générale de la police nationale)

En quelques années, les fil­ières vers la France ont pro­fes­sion­nal­isé la cir­cu­la­tion des armes. « Serbes, Koso­vars, Albanais, ce sont les meilleurs », explique la source de la DGPN. En France, les armes achetées par lots ou au comp­tant sont récep­tion­nées par les crim­inels et deal­ers. Elles sont cachées et stock­ées dans des “pools”, sorte de cachettes, la plu­part du temps dans des caves ou garages, en atten­dant d’être util­isées lors de cass­es, braquages voire attentats.

En 2010, l’or­gan­i­sa­tion inter­na­tionale Inter­pol avait mis en garde con­tre le traf­ic transna­tion­al des armes dans le monde et en Europe, évo­quant « une men­ace sur la sûreté, la paix et la sécu­rité »Au lende­main de l’at­ten­tat dans les locaux de Char­lie Heb­do, le min­istre de l’in­térieur Bernard Cazeneuve avait annon­cé de nou­velles mesures de con­trôle sur l’entrée et la cir­cu­la­tion des armes dans l’Union européenne.