Intégration, Justice, Monde

Abda, 50 ans, Mauritanien et demandeur d’asile en France

Il aura fal­lu plusieurs min­utes aux juges de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA, voir vidéo ci-dessous) pour com­pren­dre qu’Ab­da n’é­tait pas à Koundel (Mau­ri­tanie) mais dans la ville jumelle de Koundel (Séné­gal) quand il a décidé d’en­tamer son périple pour rejoin­dre la France.

Là réside toute la com­plex­ité de cette juri­dic­tion par­ti­c­ulière : étudi­er pré­cisé­ment le réc­it de vie d’un réfugié et valid­er — ou non — la déci­sion ren­due par l’Of­pra (Office français de pro­tec­tion des réfugiés et apa­trides) sur sa demande d’asile.

La juge et ses deux assesseurs n’ont que trente min­utes pour ten­ter de retrac­er le par­cours de ce Mau­ri­tanien de 50 ans, débar­qué en France en jan­vi­er 2014 après 5 ans de voy­age. En djella­ba et pan­talon beige assor­tis, cou­vert d’une doudoune noire flo­quée d’un logo pub­lic­i­taire, Abda racon­te qu’il n’a pas eu le choix, en 1989, de quit­ter son pays natal pour le Séné­gal voisin. Le tri­bunal en a vu d’autres : tous hochent la tête à l’évo­ca­tion du con­flit séné­ga­lo-mau­ri­tanien, qui a vu l’ex­pul­sion de quelque 70 000 négro-mau­ri­taniens, vic­time de per­sé­cu­tions en Mau­ri­tanie. Abda, noir et fils d’éleveur, était l’un d’eux.

“Mon chep­tel a été pris quand le con­flit a com­mencé. Ce qu’ils n’ont pas pu emporter, ils l’ont brûlé. Aujour­d’hui encore, ce sont les Mau­ri­taniens blancs qui ont mes terres.”

Les Mau­ri­taniens blancs, ce sont les Mau­res blancs, une pop­u­la­tion arabo-berbère présente dans la région du fleuve. En 1989, alors qu’Ab­da essaye de fuir son pays en fran­chissant le fleuve Séné­gal, il est empris­on­né, tor­turé. “Brûlé au fer rouge”, ajoute son avo­cat. Ses ter­res sont con­fisquées. L’homme dont les yeux rougis­sent à l’évo­ca­tion de son pays assure aux juges qu’il lui est impos­si­ble de récupér­er des ter­res cul­tivables en Mau­ri­tanie. “Avant, on cul­ti­vait les ter­res pen­dant six mois. Main­tenant, on nous demande de cul­tiv­er en deux ou trois mois, puis on fait entr­er les chameaux dans le champ. Ils man­gent tout.” La juge lui lance un sourire compatissant.

VIDEO. Com­pren­dre en une minute : la Cour nationale du droit d’asile.

Abda s’est réfugié au Séné­gal juste après sa libéra­tion. “Là je fai­sais mon petit com­merce”, con­tin­ue-t-il. “Et comme je suis l’aîné, ma mère m’a dit d’aller ten­ter ma chance”. Com­pren­dre : essay­er de gag­n­er l’Eu­rope. Il passe par le Niger, puis l’Al­gérie, et rejoint la France début 2014. Lui, assure qu’il est étranger dans son pro­pre pays. “On m’a dit : comme tu es noir, tu n’es pas Mau­ri­tanien, alors tu ne peux pas rester là”. Trente petites min­utes pour con­va­in­cre qu’une terre d’ac­cueil lui est indis­pens­able. Et l’av­o­cat de revenir sur l’his­toire des chameaux : “Vous avez bien com­pris entre les lignes qu’en Mau­ri­tanie, les Noirs vien­nent après les ani­maux dans la hiérarchie.”

Abda n’a jamais vu son fils de 6 ans

Si l’asile lui est accordé, il com­mencera toutes les démarch­es pour que sa famille le rejoigne. Abda a 4 enfants. “Quand je suis par­ti, il y a un gosse qui est né après”. C’é­tait en 2009. Il a aujour­d’hui six ans mais Abda ne l’a jamais vu. “On prend des nou­velles par télé­phone, mais on ne se voit jamais”, racon­te-t-il en pas­sant la main devant son vis­age comme pour mieux s’en rappeler.

En 2013, la CNDA a étudié 1078 cas de Mau­ri­taniens réfugiés pour seule­ment 13% d’asiles accordés. Avec cette ques­tion tou­jours déli­cate mais indis­pens­able qu’ose finale­ment l’assesseure : “Serez-vous vrai­ment en dan­ger si vous retournez dans votre pays ?”. “Je crains beau­coup. Quand on vu sa famille entière tor­turée, est-ce qu’on peut vrai­ment vouloir ren­tr­er chez soi ?”, répond laconique­ment Abda. Quelques min­utes après l’au­di­ence, Abda quitte la cour avec un air dés­abusé. “J’ai dit tout ce que j’avais sur le coeur, j’e­spère que ça suf­fi­ra”. La déci­sion sera affichée dans trois semaines, à 15 heures, sur les murs blancs de la salle d’at­tente de la CNDA.

>Aller plus loin. Que se passe-t-il lorsque la demande d’asile est à nou­veau refusée par la CNDA ? Bernadette Jol­ly, assis­tante sociale en for­ma­tion dans un Cen­tre d’ac­cueil de demande d’asile (Cada), nous explique :

 

Crédits pho­to de Une : Jim­my Darras