Religion / Laïcité

Une jupe trop longue peut-elle être “un signe religieux ostentatoire” ?

Sarah K., une élève de 3e, a été privée de cours dans son collège Léo Lagrange de Charleville-Mèzières à deux reprises, le 16 et 25 avril dernier. Le motif ? Le port d’une jupe longue, interprétée comme un signe religieux ostentatoire par la direction du collège. Décryptage.

“Un coup de canif dans la laïc­ité”. C’est en ces ter­mes que le directeur académique des ser­vices de l’Education nationale des Ardennes, Patrice Dutot, a qual­i­fié le port d’une jupe longue par une jeune élève de con­fes­sion musul­mane de 15 ans. Pour la prin­ci­pale du col­lège, Maryse Dubois, qui a inter­dit l’en­trée en classe à la jeune fille, le car­ac­tère religieux de la jupe longue “est manifeste”.

De son côté, Sarah K. n’a jamais caché sa reli­gion. Elle avait pris l’habitude de retir­er son voile avant d’entrer dans l’enceinte du col­lège, en respect de la loi en vigueur depuis 2004, et dit ne pas com­pren­dre com­ment sa jupe a pu pos­er problème.

Avis d’ex­perts à l’ap­pui, nous avons ten­té de com­pren­dre com­ment une jupe longue a pu men­er à une telle déci­sion, assumée encore ce jeu­di matin par le min­istère de l’E­d­u­ca­tion nationale.

Une interprétation stricte de la loi du 15 mars 2004

Que dit la loi, pré­cisé­ment ? La loi n°2004–228 du 15 mars 2004 dis­pose que “dans les écoles, les col­lèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves man­i­fes­tent osten­si­ble­ment une appar­te­nance religieuse est interdit”.

Cette loi est com­plétée par la cir­cu­laire n°2004–084 du 18 mai 2004 qui rap­pelle que “les signes et tenues qui sont inter­dits sont ceux dont le port con­duit à se faire immé­di­ate­ment recon­naître par son appar­te­nance religieuse tels que le voile islamique, quel que soit le nom qu’on lui donne, la kip­pa ou une croix de dimen­sion man­i­feste­ment exces­sive”. La même cir­cu­laire déclare que cette loi “ne remet pas en cause le droit des élèves de porter des signes religieux dis­crets. Elle n’interdit pas les acces­soires et les tenues qui sont portés com­muné­ment par des élèves en dehors de toute sig­ni­fi­ca­tion religieuse”.

Une jupe, étant un vête­ment “com­muné­ment portée” par n’importe quel élève, quelques soient ses con­vic­tions, de nom­breux sou­tiens à la jeune fille estime qu’il ne s’ag­it pas d’un signe d’ap­par­te­nance religieux ostentatoire.

“Ce n’est pas aux autorités de savoir ce que pense l’élève”

Le rap­por­teur général de l’ob­ser­va­toire de la laic­ité auprès du Pre­mier min­istre, Nico­las Cadène, joint par télé­phone, nous explique “qu’une jupe portée par une musul­mane ne peut pas être con­sid­érée comme un signe religieux car, avant tout, la direc­tion de l’école n’a pas à savoir la con­fes­sion de l’élève”.

Ain­si, quand bien même l’élève attribuerait une valeur religieuse au vête­ment porté, une jupe longue en l’espèce, ça ne regarde que lui. “On n’a pas à deman­der quelle valeur l’élève donne à un vête­ment, ce n’est pas aux autorités de savoir ce que pense l’élève”, affirme Nico­las Cadène.

“Si on com­mence à s’attaquer aux jupes on ne s’en sort pas.

Selon lui, il faut unique­ment s’en référ­er à des élé­ments objec­tifs. S’il y a un fait religieux (le port d’une croix, d’une kip­pa ou d’un voile) ou un com­porte­ment social prob­lé­ma­tique (prosé­lytisme ou refus de se soumet­tre à cer­taines règles de l’établissement sco­laire en invo­quant sa reli­gion), il peut y avoir, dans ces cas-là, une sanc­tion après une phase de dialogue.

Ain­si, “la loi inter­dit à un élève de se pré­val­oir du car­ac­tère religieux qu’il attacherait à la tenue pour refuser de se con­former aux règles applic­a­bles qui per­me­t­tent d’assurer le bon fonc­tion­nement des cours et de l’établissement, con­tin­ue Nico­las Cadène. En clair : refuser d’avoir une tenue adap­tée aux cours d’EPS ou de SVT”. C’est donc le com­porte­ment de l’élève qui doit être observé et non sa tenue ves­ti­men­taire. “Si on com­mence à s’attaquer aux jupes on ne s’en sort pas. Ce sont des modes ves­ti­men­taires, point”, con­clut Nico­las Cadène.

Provocation groupée, selon le rectorat

Mais le sujet s’avère en réal­ité un peu plus com­plexe. Le 16 avril, Sarah s’est présen­tée au col­lège accom­pa­g­née d’un groupe de jeunes filles. Toutes por­taient une jupe longue, selon les ser­vices académiques, qui évoque un geste en réac­tion à un inci­dent récent lié à l’interdiction du port du voile au sein de l’établissement. Cette “provo­ca­tion assumée” aurait motivée la déci­sion de toute l’équipe éduca­tive, “inspecteurs et rec­torat com­pris”, de leur inter­dire l’accès en classe, et non au col­lège dans son ensemble.

Le rec­torat de l’académie de Reims pré­cise qu’aucune règle n’interdit « par principe » le port de jupes longues. C’est le con­texte qui explique cette déci­sion. A la suite de cet inci­dent, une sen­si­bil­i­sa­tion à la laïc­ité a été effec­tuée dans chaque classe, avec un « rap­pel de la charte de la laïc­ité » ain­si qu’une « expli­ca­tion sur ce qui est osten­ta­toire et ce qui ne l’est pas ». Le rec­torat indique par ailleurs qu’aucune mesure d’exclusion de l’établissement n’a été envisagée.

La vague notion de signe religieux

Le soci­o­logue Jean Baubérot, his­to­rien et auteur du livre “La laïc­ité fal­si­fiée” paru en 2012, estime que “l’école récolte ce qu’elle a semé”. A l’époque du vote de la loi sur le port de signes religieux à l’école, les mem­bres de la com­mis­sions sur la laïc­ité, appelée “Stasi”, avaient fait remar­quer que n’importe quoi pou­vait être inter­prété comme un signe religieux. “Le risque était d’entrer dans le jeu stu­pide du chat et de la souris, soupçon­nant sans cesse les élèves”, explique le sociologue.

Pour éviter cet écueil, une liste des signes religieux osten­ta­toires a été établie, lim­itée au voile islamique, à la kip­pa et aux croix de dimen­sions man­i­feste­ment exces­sives. Pour lui, “la cir­cu­laire a ren­du les choses plus confuses”.

Ce mer­cre­di, la mère de la jeune Sarah a indiqué qu’elle deman­dera à sa fille de se con­former aux direc­tives de l’Education nationale. “On ne cherche pas de prob­lème”, assure-t-elle. “C’est une jupe sim­ple sans signe par­ti­c­uli­er, ce n’est pas religieux mais si l’école refuse que ma fille la porte en cours, elle ne la met­tra pas”. Un geste d’a­paise­ment qui per­me­t­tra de calmer la vive polémique née de cette affaire.