Politique

Comment le Front national met le football au ban

Dans plusieurs municipalités dirigées par le Front national, des coupes budgétaires drastiques touchent les clubs de football amateur. Un choix qui se justifie par "la situation économique" selon le conseiller aux Sports du parti, Eric Domard. Ce n'est pas l'avis des dirigeants de clubs. Notre enquête.

Des prési­dents qui voient fon­dre leur bud­get, des rela­tions com­pliquées avec les maires, des emplois men­acés… Plusieurs clubs de foot­ball de villes récem­ment con­quis­es par le Front nation­al dénon­cent des coupes dans les sub­ven­tions attribuées par les mairies. Selon eux, les moti­va­tions des élus ne sont pas seule­ment économiques mais aus­si politiques.

Le FC Mantois pas assez “local”, pas assez “sérieux”

A Mantes-La-Ville (Yve­lines), les coupes budgé­taires pour­raient com­pro­met­tre les emplois des encad­rants du club de foot ama­teur. Pour le prési­dent du FC Man­tois, Sam Damer­gys, le risque de devoir réduire le nom­bre d’é­d­u­ca­teurs qui accom­pa­g­nent les 58 équipes du club plane. “Si le bud­get n’est pas équili­bré, on devra taper dans les dépens­es”. Cette année, le club a per­du 60 000 € de sub­ven­tions, sur un bud­get qui fluctue chaque année de 650 000 à 700 000 €, soit env­i­ron 10 % du total.

Le maire de Mantes-La-Ville, Cyril Nauth, le recon­naît : “Il a fal­lu faire des choix”. Entre le Club Ath­lé­tique et omnis­ports de la ville (le CAMV) et le FC Man­tois, le pre­mier a été priv­ilégié. Les sub­ven­tions de ce club mul­ti­sport, unique­ment com­posé de Man­tevil­lois, ont été aug­men­tées. Pourquoi une telle dif­férence de traite­ment ? “Ce sont des gens plus sérieux”, explique M. Nauth, en bis­bille avec les dirigeants du FC Man­tois qu’il avait qual­i­fiés de z’y‑va de ban­lieue” dans une inter­view don­née au Monde le 11 avril. Il leur reproche de poli­tis­er la ques­tion à out­rance. “M. Mendy (l’entraîneur du club) a un com­porte­ment irre­spectueux et salit les élus, alors évidem­ment, on a moins envie de tra­vailler avec lui”. Mais Cyril Nauth se défend de tout clien­télisme, assur­ant défendre “l’intérêt général et non des intérêts par­ti­c­uliers”.

“Le foot­ball, c’est super, mais il n’y a pas que ça comme priorité”

Il n’empêche, ses préférences sont claires :  “Le foot­ball, c’est super, mais il n’y a pas que ça comme pri­or­ité”. Quand bien même le club de foot a aus­si un rôle social, l’é­d­u­ca­tion et la sécu­rité passent avant pour le maire qui dit faire “davan­tage con­fi­ance à un pro­fesseur qu’à un entraîneur de foot­ball pour édu­quer les enfants”.

Autre rai­son invo­quée : les travaux engagés cet été pour agrandir et rénover le ter­rain de foot­ball. Leur coût, de 240 000 € pour la mairie, jus­ti­fierait une baisse des sub­ven­tions cette année. “Il essaye de nous enfumer, pour moi c’est claire­ment la com­posante de la pop­u­la­tion qui joue : le foot, c’est pas son élec­torat”, assure Sam Damer­gy. L’essen­tiel du club est com­posé “de gens issus de l’im­mi­gra­tion”, selon le respon­s­able du FC Mantois.

Cyril Nauth écarte d’un revers de la main ces accu­sa­tions. Pour lui, ces baiss­es de sub­ven­tion sont logiques. “Il n’y a que 200 Man­tevil­lois sur 1000 licen­ciés au club de foot, vous voudriez pay­er des impôts pour d’autres villes ?”, s’in­surge le maire pour qui Mantes-La-Ville appar­tient aux Mantevillois.

Beaucaire : un club centenaire coupé en deux

Le club de Mantes-La-Ville n’est pas le seul à se voir privé d’une par­tie de ses dota­tions. A Beau­caire, dans le Gard, une man­i­fes­ta­tion a réu­ni près de deux cents per­son­nes ven­dre­di dernier pour pro­test­er con­tre les baiss­es de sub­ven­tion aux asso­ci­a­tions décidées par la mairie. Le Stade Beau­cairois, club de foot de la ville, est le plus touché par ces coupes. Il a per­du cette année plus de la moitié de ses sub­ven­tions, pas­sant de 88 500 € à 40 000 €.

La nou­velle est par­v­enue à Georges Cornil­lon, le prési­dent du club, au moment où la déci­sion était actée. « Il n’y a eu aucune con­cer­ta­tion, ils ne nous ont rien dit. S’ils nous avaient prévenus, nous auri­ons peut-être pu prévoir mais là, on est dému­nis ». Julien Sanchez, le maire de Beau­caire, recon­naît son tort à ce niveau. “Oui c’est vrai, on aurait pu le recevoir quelques semaines avant, mais on avait prévenu lors des élec­tions munic­i­pales que les sub­ven­tions seraient bais­sées”. Avec une divi­sion par deux des dota­tions du club, la ques­tion de son avenir est posée. “Nous risquons de pass­er de 24 à 12 équipes” s’in­quiète Georges Cornillon.

“C’est peut être parce qu’on a 260 maghrébins sur 384 licenciés…”

A Beau­caire, le foot­ball n’est d’ailleurs pas le seul sport touché. Les clubs de hand­ball, de gym et de ten­nis, ont aus­si vu leurs sub­ven­tions fon­dre. Pas ceux de l’av­i­ron, du rug­by, ou du fut­sal. Georges Cornil­lon ne com­prend pas. « On est la plus vieille asso­ci­a­tion (1908) et la plus impor­tante de la ville ». Le Stade beau­cairois a 400 licen­ciés, alors que la ville de Beau­caire ne compte que 16 000 habitants.

Le prési­dent du club a bien une hypothèse. “C’est peut être parce qu’on a 260 maghrébins sur 384 licen­ciés…”. “De la pure diffama­tion, s’in­surge Julien Sanchez. Ce mon­sieur dit n’im­porte quoi, les déci­sions sont pris­es selon des critères objec­tifs”, notam­ment le nom­bre d’ad­hérents, le niveau du club ou la par­tic­i­pa­tion à la vie de la ville. “Il s’ag­it par exem­ple des activ­ités que les clubs pro­posent l’été, comme des bode­gas”, explique Julien Sanchez quand on lui demande des pré­ci­sions. “Cha­cun ses critères, con­tin­ue le jeune maire FN. Le club devrait nous remet­tre un trophée pour ce qu’on fait pour eux. Qu’ils arrê­tent de la ramen­er. Quand on voit les réac­tions, ça ne donne pas envie d’aider le foot” ful­mine-t-il. “Ils n’ont qu’à dire aux social­istes des col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales que le méchant maire fas­ciste mangeur d’en­fants coupe les sub­ven­tions, ils seront très con­tents de leur en don­ner”, iro­nise Julien Sanchez, vraisem­blable­ment agacé par ces débats. Il affirme ne rien avoir con­tre le foot, sim­ple­ment, il n’est pas là “pour gaspiller l’ar­gent pub­lic”, con­clut-il.

La direction nationale du FN défend ses maires

Ces deux villes ne sont pas les seules munic­i­pal­ités touchées par des baiss­es de sub­ven­tions, sur les onze que dirige le Front nation­al. La sub­ven­tion du club de Fréjus (L’étoile sportive fréjussi­enne) a été abais­sée par le maire David Rach­line de 20 % l’an dernier, pas­sant de 600 000 à 480 000 €. Au FC Hayange, Loïc François, le prési­dent du club, craint des baiss­es de sub­ven­tion : « Pour l’instant on ne nous dit rien ». L’an dernier, les sub­ven­tions du club avaient baissé.

Ces réduc­tions budgé­taires n’ont rien d’étonnant pour Eric Domard, le con­seiller aux sports du FN : « Le nom d’Hayange par­le de lui-même et je com­prendrais que M. Engel­mann, le maire, choi­sisse de priv­ilégi­er d’autres secteurs dans cette ville en dif­fi­culté ».

Pour lui, l’essen­tiel n’est pas que les jeunes jouent au foot­ball, mais qu’ils trou­vent un emploi. “Il faut diriger les efforts financiers vers des secteurs plus impor­tants”, avance-t-il. La sécu­rité ou encore l’emploi. Les asso­ci­a­tions, elles, devront faire avec. Ou plutôt sans.