Sécurité, Terrorisme

4 raisons pour lesquelles il est impossible de protéger toutes les églises de France

«Vouloir s’en pren­dre à une église, c’est s’en pren­dre à un sym­bole de la France, c’est l’essence même de la France qu’on a sans doute voulu vis­er », a déclaré Manuel Valls mer­cre­di 22 avril après l’arrestation d’un Algérien de 24 ans, qui pro­je­tait un atten­tat con­tre une ou deux églis­es.

Sid Ahmed Ghlam, un étu­di­ant en infor­ma­tique, a été arrêté grâce à un con­cours de cir­con­stances et prévoy­ait d’ouvrir le feu pen­dant la messe domini­cale à Ville­juif. L’homme est soupçon­né d’avoir reçu l’aide d’un com­plice qui opér­erait depuis la Syrie.

Manuel Valls a annon­cé jeu­di au micro de France Inter que 178 lieux de culte catholique béné­fi­ci­aient d’une « pro­tec­tion spé­ci­fique ». Bernard Cazeneuve lui a emboîté le pas en annonçant qu’il trans­met­tra des instruc­tions pour que l’Etat puisse « garan­tir un dis­posi­tif qui cor­re­sponde aux attentes des représen­tants de l’Eglise catholique ». Mais la pro­tec­tion des lieux de culte catholique en France parait com­pliqué, voire impos­si­ble pour au moins qua­tre raisons.

1. Dif­fi­cile de sur­veiller 45 000 églises

Cela peut paraître évi­dent, mais avec 45 000 églis­es recen­sées sur le ter­ri­toire, c’est illu­soire de sur­veiller cha­cune d’elles. L’opération “Sen­tinelle”, nom de code du plan Vigipi­rate, rassem­ble 15 200 per­son­nes, dont 10 500 mil­i­taires. Bernard Cazeneuve monte à « près de 20 000 » en inclu­ant les agents habil­ités quo­ti­di­en­nement à des mis­sions de pro­tec­tion. Le plan vigipi­rate mobilise donc presque trois fois moins de mil­i­taires, gen­darmes et policiers que de lieux de culte catholiques.

Il faut not­er, par ailleurs, que les lieux de culte catholiques représen­tent 21% des 830 lieux jugés sen­si­bles par l’Intérieur (écoles, représen­ta­tions diplo­ma­tiques et con­sulaires, organes de presse)

2. Des effec­tifs déjà en sur-régime

Six heures min­i­mum de gardes sta­tiques avec sur le dos un gilet pare-balles pesant plus de dix kilos, voilà la journée type d’un CRS. Début avril, trois com­pag­nies, soit plus de 200 hommes, se sont mis col­lec­tive­ment en arrêt mal­adie pour man­i­fester leur grogne.

Les syn­di­cats de police sont unanimes : « Ces effec­tifs déployés sont déjà au bord de la rup­ture, pour cer­tains sans minute de repos depuis plusieurs jours, ils ne peu­vent pas être aus­si effi­cace dans ces con­di­tions », con­state Christophe Crépin, le respon­s­able com­mu­ni­ca­tion du syn­di­cat UNSA Police. Avant d’ajouter : « Nous ne pou­vons pas mul­ti­pli­er nos effec­tifs, nous sommes en pleine capac­ité. Il y a beau­coup trop de points à pro­téger, déjà que l’on prend énor­mé­ment de risques…»

L’As­so­ci­a­tion pro­fes­sion­nelle nationale des mil­i­taires de la gen­darmerie du XXIe siè­cle (Gend XXI), l’unique « syn­di­cat » de la pro­fes­sion créé début jan­vi­er, déplore elle aus­si un fonc­tion­nement « en sur-régime ». Allonger la liste des lieux à sur­veiller, c’est « sup­primer des heures de for­ma­tion de repos », et faire explos­er les heures sup­plé­men­taires ». Autrement dit, « c’est encore moins ten­able à long terme ».

3. Les patrouilles mobiles, une fausse bonne idée

« Mes ser­vices pren­dront con­tact avec les représen­tants des lieux de culte pour met­tre en place un dis­posi­tif dynamique effi­cace », a déclaré Bernard Cazeneuve. Pour le min­istre de l’Intérieur, ces patrouilles mobiles servi­ront à garan­tir que « quiconque s’at­ta­que­ra à ces lieux sera sus­cep­ti­ble de trou­ver face à lui des forces de l’or­dre capa­bles de pass­er immé­di­ate­ment à l’ac­tion ».

Cette astuce per­met entre autres de ne pas aug­menter les effec­tifs et de les redé­ploy­er autrement autour de ces lieux de culte. Le prob­lème, c’est qu’il impos­si­ble de « pro­téger 24 heures sur 24 les églis­es » selon Christophe Crépin. « Les patrouilles mobiles, c’est une bonne idée, sauf que dans ce cas, on ne sur­veille pas les églis­es en per­ma­nence », ajoute-t-il.

Les patrouilles mobiles per­me­t­tent de soulager les effec­tifs par rap­port à une garde per­ma­nente, mais elle aus­si plus aléa­toire. D’autant que le sus­pect avait iden­ti­fié les sites et éval­ué les dis­tances entre le com­mis­sari­at et les églis­es visées.

4. Les respon­s­ables religieux ne veu­lent pas céder à la peur

« Nous ne voulons pas nous inclin­er devant une con­cep­tion du monde qui ferait de nous des enne­mis les uns les autres », a déclaré André Vingt-Trois, l’archevêque de Paris. Mal­gré l’inquiétude, les respon­s­ables religieux ne veu­lent pas céder à la panique.

Pour la con­férence des évêques de France, les églis­es « doivent rester des lieux ouverts, des lieux d’ac­cueil, con­forme à l’e­sprit même de la reli­gion catholique ». Une affir­ma­tion qui parait dif­fi­cile­ment com­pat­i­ble avec une présence poli­cière renforcée.

Pour le père Philippe Lou­veau, curé de l’église Saint-Cyr-Sainte Julitte, l’une des paroiss­es visées, c’est une mesure « pure­ment sym­bol­ique ». Inter­rogé par les équipes jeu­di sur Canal+, il pré­cise qu’à Char­lie Heb­do, « il y avait une pro­tec­tion poli­cière » mais qu’à par­tir du moment où les ter­ror­istes sont suff­isam­ment déter­minés, « ils com­men­cent par tuer le fonc­tion­naire de police ou le vig­ile avant de faire un car­nage ».

Fatal­iste, le père Lou­veau con­clut dans le Midi Libre que « si des cinglés sont à ce point fanatisés pour tuer des enfants juifs, musul­mans ou chré­tiens, je ne vois pas com­ment on pour­rait le prévoir…»

Image d’en-tête : Bernard Cazeneuve, min­istre de l’In­térieur. (CC-BY-SA Vlasts kanceleja/ State Chancellery)