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Charlie Hebdo : les journalistes divisés sur la répartition de l’argent

Deux mois après l'attentat qui a décimé Charlie Hebdo, les survivants se divisent : onze salariés demandent que tous les collaborateurs deviennent actionnaires à parts égales du journal, qui a recueilli près de 30 millions d'euros depuis la tuerie.

“Lau­rent Léger (jour­nal­iste de Char­lie Heb­do, ndlr) a annon­cé mer­cre­di en con­férence de rédac­tion avoir créé un col­lec­tif pour ouvrir des négo­ci­a­tions sur une répar­ti­tion égal­i­taire du cap­i­tal”, a indiqué à l’AFP un des avo­cats du jour­nal, représen­tant de la direc­tion, qui n’a pas souhaité être nommé.

Dans un cour­riel à la rédac­tion dont l’AFP a obtenu une copie, Lau­rent Léger pré­cise que ce col­lec­tif réu­nit onze col­lab­o­ra­teurs, dont l’ur­gen­tiste Patrick Pel­loux et le dessi­na­teur Luz. Ce col­lec­tif a engagé deux avo­cats, dont Antoine Comte, qui a notam­ment défendu Rue89, le Syn­di­cat de la mag­i­s­tra­ture et Olivi­er Besancenot.

Char­lie Heb­do est détenu actuelle­ment à 40% par les par­ents de Charb, l’ex-directeur de la pub­li­ca­tion tué dans l’at­taque du 7 jan­vi­er; à 40% par le dessi­na­teur Riss, blessé à l’é­paule, devenu le nou­veau directeur du jour­nal; et 20% par Eric Portheault, co-gérant.

Juste avant l’at­ten­tat jihadiste qui a tué douze per­son­nes de l’équipe, le jour­nal, au bord de la fail­lite, ne se vendait qu’à 30.000 exem­plaires. Il a depuis vu affluer les dons et les abon­nements, et ven­du à plus de 7 mil­lions d’ex­em­plaires son “numéro des sur­vivants” du 14 jan­vi­er. De nom­breux col­lab­o­ra­teurs vivent désor­mais sous pro­tec­tion policière.

“Nous prenons acte des souhaits des salariés d’être asso­ciés à la vie du jour­nal. Mais nous sommes encore très loin de la réflex­ion sur l’ac­tion­nar­i­at”, a com­men­té l’av­o­cat du jour­nal, expli­quant que les dirigeants étaient “navrés” de cette initiative.

“L’argent ne nous intéresse pas”

“Riss est encore à l’hôpi­tal, les parts de Charb sont gelées par (sa) suc­ces­sion. Tout cet argent fait plus de mal que de bien. Cela fait penser à ces enter­re­ments où on se bat déjà en revenant du cimetière pour les bijoux de la grand-mère”, a‑t-il regretté.

“Nous devons d’abord penser à sor­tir un jour­nal tous les mer­cre­dis. Il faut aus­si régler des prob­lèmes fis­caux, puisque par exem­ple les dons sont taxés à 60%. Les dons iront aux familles des vic­times. Le pro­duit des ventes ira dans la caisse du jour­nal. Il servi­ra aus­si à créer une fon­da­tion, notam­ment pour enseign­er la lib­erté d’ex­pres­sion à l’é­cole”, a expliqué l’avocat.

“Pour le moment, on n’est pas asso­cié aux choix. Il n’y a rien con­tre la direc­tion actuelle, aucun con­flit avec qui que ce soit, mais par rap­port à ce qui s’est passé les salariés veu­lent être davan­tage acteurs de l’en­tre­prise”, a déclaré Patrick Pel­loux, joint par l’AFP.

“À par­tir du moment où une entre­prise est décimée, vous vous sen­tez com­pléte­ment liés à elle. Il ne s’ag­it pas de se partager le gâteau. L’ar­gent ne nous intéresse pas”, assure-t-il.

Con­tac­té par l’AFP, Lau­rent Léger a seule­ment répon­du qu’il s’agis­sait de “dis­cus­sions internes au jour­nal”. Dans son cour­riel à la rédac­tion, il insiste sur son souhait d’un con­trôle col­lec­tif des comptes.

“Cette nou­velle répar­ti­tion du cap­i­tal per­me­t­tra de ren­dre compte de la manière la plus trans­par­ente qui soit de l’u­til­i­sa­tion de l’in­croy­able afflux de fonds dont le jour­nal a été des­ti­nataire (…). Nous avons pris acte de l’en­gage­ment des action­naires actuels de blo­quer l’ar­gent, mais plus le con­trôle est large, plus les déci­sions de ce type sont pris­es col­lec­tive­ment et mieux c’est pour tout le monde”, ajoute-t-il. Il réclame aus­si “un audit de la sit­u­a­tion financière”.

L’ini­tia­tive a provo­qué jeu­di un vif débat au sein de la rédac­tion. Dans un cour­riel, un des dessi­na­teurs, qui ne fait pas par­tie du col­lec­tif, a reproché aux mem­bres du col­lec­tif de “par­ler de son argent (de Charb, ndlr)”, alors que “les asti­cots ont même pas fini de le bouf­fer”, même si “la ques­tion de l’ac­tion­nar­i­at devra se poser”.

“Les actions de Charb ne s’en­v­oleront pas si c’est ça qui vous inquiète, Riss par­ti­ra pas avec la caisse sous son bras (…) et Eric (Portheault, ndlr) n’a pas ouvert de compte en Suisse”, a‑t-il ajouté, en soulig­nant les sac­ri­fices financiers con­sen­tis par ces deux derniers pour le jour­nal ces dernières années.

(Avec AFP — PARIS, 19 mars 2015)