Intégration

Au milieu des champs, le quartier prioritaire de Villers-Cotterêts ne croit pas en « l’esprit du 11 janvier »

Les habitants des HLM de Villers-Cotterêts dans l’Aisne n’attendent pas grand-chose des mesures promises par le gouvernement au nom de « l’esprit du 11 janvier ».

La semaine dernière, c’était les ban­lieues. Ce ven­dre­di, c’est au tour de la rural­ité. Manuel Valls bat la cam­pagne pour mon­tr­er qu’il n’oublie aucun ter­ri­toire. Le Pre­mier min­istre se rend à Laon, dans l’Aisne, pour annon­cer ses mesures en faveur des zones rurales.

His­toire de mon­tr­er que « répon­dre à toutes les frac­tures ter­ri­to­ri­ales », c’est « aus­si le 11 jan­vi­er », comme le con­fi­ait un de ses proches à Libéra­tion la semaine dernière. Tout en essayant de faire face au FN, qui car­tonne dans ce départe­ment rur­al, à l’approche des départementales.

À une cinquan­taine de kilo­mètres de là, Villers-Cot­terêts, munic­i­pal­ité gag­née par le FN lors des dernières élec­tions. Les petites bar­res HLM du quarti­er de la route de Vivières, à l’entrée de la ville, sont à la croisée des prob­lèmes des ban­lieues et des campagnes.

Le quartier de la route de la Vivières mêle des problèmes de ruralité et de banlieue (Philippine Robert/3millions7)

Le quarti­er de la route de la Vivières mêle des prob­lèmes de rural­ité et de ban­lieue (Philip­pine Robert / 3millions7)

« C’est vide, il n’y qua­si­ment rien ici. On n’est proche de rien et il n’y a rien à faire », martèle Wil­fried, un étu­di­ant de 19 ans qui habite ici depuis huit ans. Il répète ce mot, « rien », comme s’il n’en avait pas d’autre pour décrire ces immeubles de qua­tre étages aux couleurs pâles et à la pein­ture écail­lée, entourés de pavil­lons mod­ernes, de vieilles maisons en brique et de champs, noyés dans le brouil­lard matinal.

Peinture écaillée et couleurs délavées ornent les immeubles du quartier (Philippine Robert/3millions7)
Pein­ture écail­lée et couleurs délavées ornent les immeubles du quarti­er (Philip­pine Robert / 3millions7)

Chômage, Smic, aller-retour

S’ils trou­vent les dis­cours sur « le 11 jan­vi­er » et « la frac­ture ter­ri­to­ri­ale » bien beaux, les habi­tants ont du mal à croire que cela pour­rait chang­er leur quo­ti­di­en. « On ne peut rien faire pour nous. Cette ville est trop petite, il n’y a pas de tra­vail. La seule solu­tion, c’est de par­tir », lâche d’un air dés­abusé Sofia, une grande et jolie brune d’une ving­taine d’années aux lèvres ros­es flashy et au nez per­cé, accom­pa­g­née de sa maman voilée.

Le tra­vail, ceux qui en trou­vent vont le chercher dans d’autres villes, à Sois­sons, Crépy-en-Val­ois ou Plessis-Belleville. Ils vont même jusqu’à Rois­sy, à une quar­an­taine de min­utes en voiture. Comme Radouan, 36 ans, qui vit dans le quarti­er depuis sa naissance :

« Ici, la plu­part des gens sont au chô­mage ou gagne le Smic, et même moins. Pour relever les salaires, les jeunes vont tra­vailler à Rois­sy. Mais avec le tra­jet, ça revient qua­si­ment au même ».

Dans ce quarti­er de 2 900 habi­tants, le chô­mage tourne autour des 20% et  plus de la moitié de la pop­u­la­tion gagne moins de 11 250 euros par an, c’est-à-dire moins de 938 euros par mois.

Des sta­tis­tiques qui ont per­mis à Villers-Cot­terêts d’entrer cette année, pour la pre­mière fois, dans le giron de la poli­tique de la ville. Le quarti­er va béné­fici­er d’aides spé­ci­fiques de l’Etat, pour rénover les habi­ta­tions ou pour encour­ager l’emploi.

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Pas un ghet­to, mais pas non plus la panacée (Philip­pine Robert / 3millions7)

« Tout est mort à l’intérieur »

Ces mesures con­crètes n’empêchent pas le sen­ti­ment de délaisse­ment. « On a par­fois l’impression d’être lais­sé à l’abandon », regrette Wilfried.

À l’abandon dans des lieux qui, sans être des ghet­tos, ne sont pas pour autant la panacée. « Vous avez vu comme les murs sont dégueu­lass­es ? Et dans les immeubles, c’est pareil. Tout est mort à l’intérieur », s’agace Romain*, un lycéen de 18 ans, emmi­tou­flé dans une doudoune à capuch­es, avec à la main un télé­phone portable qui dif­fuse un morceau de rap. Sofia* racon­te qu’elle n’invite plus per­son­ne car à l’intérieur « ça pue trop la pisse de chat ».

"C'est quand même moins délabré que certaines zones du 93" (Philippine Robert/3millions7)
“C’est quand même moins délabré que cer­taines zones du 93” (Philip­pine Robert / 3millions7)

Il est 11 heures 30 et le quarti­er s’anime enfin avec le défilé des mamans qui vont récupér­er leurs enfants à l’école, une pous­sette devant elles.

Vir­ginie fait par­tie de cette pro­ces­sion. Elle marche d’un pas décidé, son bon­net sur la tête. La jeune femme n’habite pas le quarti­er, mais « juste en face », après avoir vécu « dans le 93 » :

« Je trou­ve ça bien qu’on dise qu’on veut s’occuper à la fois des ban­lieues et des cam­pagnes, ça créé de la cohé­sion. Chaque fois qu’il y a un prob­lème, on va par­ler du 93 mais avec les atten­tats, on a vu que les prob­lèmes vien­nent aus­si d’ailleurs. Ceux qui ont fait ce car­nage à Char­lie Heb­do, ils n’ont pas gran­di dans les quartiers, mais à la cam­pagne. Et les prob­lèmes que les gens ren­con­trent ici, on en par­le rarement. Même si la sit­u­a­tion n’est pas aus­si dif­fi­cile que dans les ban­lieues. Prenez juste les loge­ments, c’est quand même moins délabré que cer­taines zones du 93. »

Pas un « ghetto », mais un vide

Des réno­va­tions ont déjà été faites. Le quarti­er de la route de Vivières ne ressem­ble pas à un de ces « ghet­tos » décrits depuis quelques mois par les poli­tiques. Une fois les enfants retournés à l’école, le quarti­er retrou­ve son calme, seule­ment trou­blé par les rires de deux gamins d’une dizaine d’an­nées qui s’affrontent au foot sur le ter­rain mul­ti­sports, avant de se met­tre à chanter et à danser sur le béton humide.

Un terrain multisports pour sortir les jeunes de l'ennui (Philippine Robert/3millions7)
Un ter­rain mul­ti­sports pour sor­tir les jeunes de l’en­nui (Philip­pine Robert/3millions7)

Pas un com­merce à l’horizon, si ce n’est un kebab, dont le rideau de fer est déjà à moitié bais­sé en ce début d’après-midi. Une épicerie-boulan­gerie devrait ouvrir à côté.

« Ca ne me dérange pas qu’il n’y ait qua­si­ment rien dans le quarti­er, je reviens ici seule­ment pour dormir, après le tra­vail. Mais c’est vrai que pour les gens qui n’en ont pas et qui n’ont pas de voiture, le temps doit être long. Même si le cen­tre-ville n’est pas si loin que ça », explique dans un sourire Brigitte, prête à retourn­er tra­vailler après sa pause déjeuner.

Le seul commerce du quartier est un kebab (Philippine Robert/3millions7)
Le seul com­merce du quarti­er est un kebab (Philip­pine Robert / 3millions7)

Pour les jeunes, la sit­u­a­tion est plus dif­fi­cile à vivre. Wil­fried racon­te qu’il y a « par­fois de l’agressivité envers ceux du cen­tre-ville, ceux qui ont plus », même s’il n’y a glob­ale­ment pas de prob­lèmes. “Pas plus qu’ailleurs”, con­firme Radouan, “même si par­fois on a du mal à com­pren­dre ce qui passe par la tête des jeunes ».

Romain* trou­ve injuste de devoir pay­er pour pren­dre le bus pour pou­voir aller jusqu’au McDo alors que cer­taines villes voisines per­me­t­tent de se déplac­er gra­tu­ite­ment et que « ses par­ents payent déjà des impôts ».

Ce qui peut sem­bler être des caprices d’adolescent ou le reflet de l’ennui qui naît entre ses immeubles qua­si­ment iden­tiques. Alors, dès qu’ils le peu­vent, ils s’en vont vers « la grande ville » :

« On ne sort jamais ici, il n’y a rien à faire. On prend une voiture et on va sur Soissons ».

Puisqu’ils pensent que les choses ne chang­eront pas mal­gré les dis­cours et les annonces, mal­gré “l’e­sprit du 11 jan­vi­er”, autant s’en aller dès que possible.

Pho­to d’en-tête : Les immeubles du quarti­er de la route de Vivières, à Villers-Cot­terêts (Philip­pine Robert / 3millions7)