Religion / Laïcité

Dans les mosquées, la réforme commence par la prière

Depuis les attentats de janvier, plusieurs institutions religieuses ont appelé à dire une prière pour la République, chaque vendredi, dans toutes les mosquées de France. À l'instar de celle qui est dite dans les synagogues... et depuis plus de dix ans, dans certaines mosquées de Gironde.

Char­ité bien ordon­née com­mence par soi-même. Si le gou­verne­ment a engagé mer­cre­di la réforme du culte musul­man, plusieurs asso­ci­a­tions musul­manes avaient déjà esquis­sé leurs pro­pres pistes de réforme, au moins sur le plan sym­bol­ique. Une dizaine de jours après les atten­tats de jan­vi­er, le 17, le Rassem­ble­ment des musul­mans de France (RMF) — qui représente près de 500 lieux de culte —  a appelé, de con­serve avec l’U­nion des mosquées de France (UMF) et la Grande mosquée de Paris, “à élever doré­na­vant tous les ven­dredis une prière pour que Dieu préserve la France”.

Une prière pour “s’adapter à la laïcité”

Quelques jours plus tard, c’é­tait le grand rab­bin de France, Haïm Kor­sia, dans un entre­tien à l’AFP, qui plaidait en ce sens :

«L’islam aus­si a les moyens de s’adapter à la laïc­ité. Une prière pour la République – comme celle réc­itée dans nos syn­a­gogues – peut être élaborée dans l’islam français. »

En effet, dans les syn­a­gogues, chaque same­di et pour les jours de fêtes, une prière pour la République française et le peu­ple français est dite, et ce depuis 1808. À cette époque, la com­mu­nauté juive, organ­isée en Con­sis­toire par Napoléon, en rédi­ge une pre­mière ver­sion. À la suite du Con­cor­dat de 1801, d’autres prières sont instau­rées par les dif­férents cultes recon­nus par l’É­tat, notam­ment le catholicisme.

Pour autant, la prière juive se dis­tingue par son car­ac­tère ances­tral : pour Yoni Krief, Grand rab­bin de Nantes, l’ap­pari­tion de cette invo­ca­tion pour le pays d’ac­cueil remonte à l’an 586 avant Jésus-Christ,  “depuis que le prophète Jérémie, qui pressen­tait la fin de l’É­tat juif, a exhorté les juifs à prier pour les pays dans lesquels ils étaient exilés.” Au ver­set 7, chapitre 29 du livre de Jérémie, le prophète dit au peu­ple juif : “Recherchez le bien de la ville où je vous ai menés en cap­tiv­ité, et priez l’Éter­nel en sa faveur, parce que votre bon­heur dépend du sien.”  La ver­sion écrite de la prière découle de ce texte. Encore aujour­d’hui, elle est dite dans tous les pays où il existe une com­mu­nauté juive. Ain­si en Angleterre, la prière est adressée à la Reine et à ses sujets, explique Yoni Krief.

« La prière est dite en hébreu (chez les plus ortho­dox­es) ou en français. Elle est pronon­cée au moment le plus intense, le plus impor­tant de l’of­fice : c’est le moment où nous ouvrons l’arche sainte (qui ren­ferme les rouleaux de par­chemin de la Torah) au début de la céré­monie, et pas bal­ayée à la fin. »

C’est une forme de remer­ciement au pays d’ac­cueil, autant qu’une déc­la­ra­tion d’at­tache­ment aux valeurs répub­li­caines. Pour Yoni Krief, la prière se jus­ti­fie « parce que nous (les juifs) faisons corps avec la République.» 

Et la République approu­ve, comme lorsque François Hol­lande rap­pelle, à l’oc­ca­sion de la com­mé­mora­tion de la rafle du Vel’ d’hiv le 22 juil­let 2012, que « chaque same­di matin, dans toutes les syn­a­gogues français­es, (…) reten­tit la prière des Juifs de France, celle qu’ils adressent pour le salut de la patrie qu’ils aiment et qu’ils veu­lent servir : “Que la France vive heureuse et prospère. Qu’elle soit forte et grande par l’u­nion et la con­corde. Qu’elle jouisse d’une paix durable et con­serve son esprit de noblesse par­mi les nations.””

“L’objectif de la religion est de relier les gens”

Fouad Saana­di est imam à Cenon, une com­mune de Gironde, depuis une dizaine d’an­nées. Lorsqu’il y a pris ses fonc­tions, on prononçait déjà une prière pour la France depuis “plusieurs années”. Depuis, la prière est réc­itée en arabe, chaque ven­dre­di dans les mosquées de Gironde.

Fouad Saana­di la traduit ain­si : “Que celui qui veut du bien pour ce pays, que  Dieu l’aide dans sa mis­sion, que Dieu nous préserve de celui qui veut du mal pour ce pays et ceux qui y vivent, et qu’il nous en éloigne “. Plaidant pour une foi “répub­li­caine et citoyenne”, l’i­mam se réjouit que la pra­tique soit aujour­d’hui “naturelle, régulière et même oblig­a­toire”, dans les mosquées de Gironde.

“C’est impor­tant pour ne pas être dans sa bulle com­mu­nau­taire, l’objectif de la reli­gion est de reli­er les gens. Nous voulions rap­pel­er aux croy­ants que lorsqu’ils entrent dans une mosquée, ils n’en­trent pas dans un endroit exo­tique, ils restent sur le ter­ri­toire de la République, à laque­lle ils sont liés théologiquement”

L’ini­tia­tive a été accueil­lie avec ent­hou­si­asme par Karim Djer­mani, respon­s­able de la Grande mosquée de Cler­mont-Fer­rand (Puy-de-Dôme). Dans son prêche du 23 jan­vi­er dernier, filmé par France 3 régions, l’i­mam a voulu ren­dre hom­mage à la France :  “Ce pays instru­it nos enfants, soigne nos malades, assiste les plus faibles d’en­tre nous et surtout c’est dans ce pays vous avez trou­vé la lib­erté de culte et de con­science.

Pour autant, sur les 2368 lieux de culte musul­mans recen­sés par la min­istère de l’In­térieur en 2014, “toutes les mosquées ne sou­ti­en­nent pas cette démarche, regrette Fouad Saana­di, l’i­mam de Cenon, au motif qu’elles veu­lent sépar­er poli­tique et religion”.

En appelant les mosquées de France à adopter une prière pour la République, comme celle qui est pronon­cée dans les syn­a­gogues, le Grand rab­bin de France était-il bien dans son rôle ? L’i­mam de Cenon, en tout cas, ne s’en offusque pas : “Il y a des leçons qu’il faut savoir pren­dre”, explique-t-il. Et de con­clure : “Vu la grav­ité des événe­ments, on ne va pas com­mencer à se deman­der qui donne des leçons à qui.

Selon lui, la prière se jus­ti­fie “d’au­tant plus aujour­d’hui”, après les atten­tats du mois de janvier.

Pho­to d’en-tête:  Grande Mosquée de Paris (Cre­ative Commons/San­drine Magrin)