Religion / Laïcité

Non les Français ne sont pas islamophobes… enfin si. Un peu. On ne sait pas.

Les Français ont-ils une bonne opinion de l'islam et des musulmans ? Un sondage du Pew Research Center affirme que oui. Mais une autre étude vient contredire ces résultats, montrant peut-être les limites de la démarche.

Vous avez peut-être vu ce sondage pass­er sur votre fil Twit­ter au lende­main des atten­tats con­tre Char­lie Heb­do et l’Hy­per Cacher :

Perception des musulmans en Europe - Pew Research Center

Cette étude, issue d’un rap­port du Pew Research Cen­ter datant du print­emps 2014, indique que les Français ont glob­ale­ment une vision ‘favor­able’ des musul­mans : 72 % con­tre 27 %. Un score qui serait le plus élevé en Europe, bien supérieur à celui de l’I­tal­ie par exem­ple, où seuls 28 % des nationaux voient les musul­mans d’un oeil ‘favor­able’.

Pour réalis­er ce sondage, le think-tank améri­cain qui se déclare lui-même apoli­tique a util­isé la méthodolo­gie clas­sique d’un insti­tut de sondage, inter­ro­geant un échan­til­lon de 1.003 per­son­nes par télé­phone, selon des quo­tas de sexe, âge, emploi et zone de rési­dence. L’é­tude a été réal­isée sur deux semaines en mars et avril 2014.

Même objet d’étude, résultats radicalement différents

Si Pew est repris par de nom­breux médias (par exem­ple 20 Min­utes, Rue 89 ou encore des sites d’in­for­ma­tions com­mu­nau­taires comme Chris­tian­isme Aujour­d’hui), il n’est pas le seul à ten­ter de mesur­er la per­cep­tion de l’is­lam et des musulmans.

En France, la Com­mis­sion nationale con­sul­ta­tive des Droits de l’Homme pub­lie chaque année un rap­port sur la lutte con­tre le racisme, l’an­tisémitisme et la xéno­pho­bie. Le dernier rap­port, fondé sur des chiffres de décem­bre 2013, présente le résul­tat de plusieurs sondages réal­isés par l’in­sti­tut BVA. La méthodolo­gie est sim­i­laire à celle du Pew Research Cen­tre. Et pour­tant, les résul­tats sont très différents.

Si 72 % des Français ont une vision ‘favor­able’ des musul­mans selon le think-tank améri­cain, ils sont beau­coup moins à être dans ce cas, selon BVA. À la ques­tion “Pou­vez-vous me dire si [la reli­gion musul­mane] évoque pour vous quelque chose de très posi­tif, d’assez posi­tif, d’assez négatif, de très négatif ou de ni posi­tif ni négatif ?”, la moitié des sondés ont répon­du ‘négatif’, 20 % ‘posi­tif’ et 28% ‘ni posi­tif ni négatif’.

Des études à prendre avec précaution

Com­ment expli­quer une telle dif­férence entre ces deux études ?

Tout d’abord, la ques­tion posée n’est pas la même. Chez Pew, l’é­tude porte sur la ‘vision’, ‘favor­able’ ou ‘défa­vor­able’ des musul­mans. Comme le remar­que Jean Chiche, chercheur au Cevipof et au CNRS, “le terme ‘favor­able’ ne veut rien dire : on est favor­able à une action, pas à un con­cept ou un groupe de per­son­nes”.

D’ailleurs, à aucun moment le Pew Research Cen­tre ne définit le mot ‘favor­able’, et encore moins l’ex­pres­sion ‘favor­able aux musul­mans’. Doit-il être com­pris comme une ‘opin­ion pos­i­tive’ ? Une volon­té de voir les musul­mans mieux inté­grés ? Ou encore une accep­ta­tion des pra­tiques musul­manes ? On ne sait pas.

L’en­quête de BVA utilise des ter­mes plus pré­cis : per­cep­tion ‘pos­i­tive’ / ‘néga­tive’ de la reli­gion musul­mane. Par ailleurs, con­traire­ment aux per­son­nes sondées par Pew, les sondés de BVA avaient la pos­si­bil­ité de déclar­er une per­cep­tion ‘ni pos­i­tive ni néga­tive’ de l’islam.

“Il n’y a pas que le nom­bre de répons­es pro­posées qui influe sur le résul­tat”, explique Jean Chiche, “le nom­bre de ques­tions est tout aus­si cru­cial”. Ain­si, l’é­tude de Pew ne porte pas que sur la per­cep­tion de l’is­lam, mais une foule d’autres sujets : la per­cep­tion de l’Eu­rope, de l’é­conomie et des minorités ethniques.

“En procé­dant ain­si, on ne pré­pare pas les sondés. Ils doivent répon­dre à chaud à une ques­tion qu’ils ne se sont peut-être jamais posés”, explique l’expert.

À l’in­verse, l’en­quête de BVA pose une série de ques­tions qui per­me­t­tent d’affin­er le résul­tat du sondage. Ain­si, 56 % des sondés pensent que les musul­mans for­ment ‘un groupe à part dans la société’, 54 % ne sont pas d’ac­cord pour dire ‘il faut faciliter l’ex­er­ci­ce du culte musul­man en France’ et 34% ne sont pas d’ac­cord pour dire que ‘les Français musul­mans sont des Français comme les autres’.

Enfin, la méthodolo­gie dif­fère entre les deux insti­tuts. Alors que le Pew Research Cen­tre a mené son enquête par télé­phone, BVA a inter­rogé ses sondés en face-à-face. Les gens répon­dent-ils dif­férem­ment ? “En posant la même ques­tion au même échan­til­lon, on peut avoir une dif­férence de 10 à 20 points suiv­ant la méth­ode util­isée”, affirme Jean Chiche.

Quelle étude croire ? Il est très dif­fi­cile de les com­par­er : “Même si la ques­tion et les échan­til­lons étaient exacte­ment les mêmes, on ne peut pas com­par­er des études séparées de plus de deux ou trois semaines d’é­cart”.

Dif­fi­cile, donc, de réduire à l’arith­mé­tique et aux sondages un sujet aus­si sen­si­ble, où non seule­ment les méth­odes mais aus­si les ter­mes sont sujets à caution.

Pho­to d’en-tête : “Un musul­man à Mont­martre”, Fran­cis­co Oso­rio, FlickR