Intégration

Un service civique universel dès juin 2015 : les obstacles qu’il reste à franchir

François Hollande a annoncé vouloir instaurer un service civique universel, à défaut de le rendre obligatoire. Si les associations se réjouissent de cette généralisation, elles s'inquiètent du calendrier et des moyens de cette mesure.

Atten­dues depuis plusieurs jours, les annonces de François Hol­lande sur un “engage­ment citoyen nation­al” ont per­cé lors de sa con­férence de presse, jeu­di 5 févri­er. Finale­ment, pas de retour du ser­vice mil­i­taire, ni de ser­vice civique oblig­a­toire, mais un “ser­vice uni­versel” de 8 mois, cen­sé être acces­si­ble à qui veut, dès juin prochain. Il devrait pou­voir con­cern­er 150 000 jeunes dès 2015 et, poten­tielle­ment, beau­coup plus à terme.

Service civique

L’an­nonce du Prési­dent de la République est-elle réal­iste ? Les délais sont-ils ten­ables ? Quel bud­get doit être mis sur la table Nous avons posé la ques­tion à Unis-Cité, une asso­ci­a­tion fondée il y a 20 ans, pio­nnière en matière de ser­vice civique et parte­naire priv­ilégiée de l’A­gence nationale du Ser­vice civique. 

1. Les délais sont-ils tenables ?

Un petit coup d’oeil sur les chiffres de l’an­née 2014 incite à un soupçon de scep­ti­cisme. L’an passé, seul un jeune sur qua­tre souhai­tant faire son ser­vice civique a pu réelle­ment l’ef­fectuer. En cause, dif­férents fac­teurs (déjà évo­qués dans un arti­cle de 3millions7) ain­si qu’un manque évi­dent de bud­get, du côté de l’A­gence du ser­vice civique. Pour que le gou­verne­ment tienne son objec­tif de 150 000 con­trats en 2015 (con­tre 30 000 en 2014), il a donc du pain sur la planche.

“C’est vrai que c’est short, 4 mois!, recon­naît Marie Trel­lu-Kare, co-fon­da­trice et prési­dente d’U­nis-Cité. Il ne s’ag­it pas de faire faire n’im­porte quoi aux jeunes, il faut avant tout que les mis­sions soient intéres­santes et utiles.”

Mais face à l’am­pleur du défi, Marie Trel­lu-Kare préfère focalis­er son atten­tion sur le posi­tif : “La grande idée à retenir c’est surtout la volon­té de généralis­er le ser­vice civique sous sa forme actuelle. Cela nous ras­sure, car il y avait eu des annonces qui n’al­laient pas for­cé­ment dans ce sens…”  De même, la déci­sion prise de fix­er la durée du con­trat à 8 mois va dans le bon sens selon elle : “Ça va aider que ce soit des mis­sions plus longues que le strict min­i­mum légal de 6 mois, parce que les struc­tures, notam­ment asso­cia­tives, avaient tou­jours dit qu’en dessous d’une cer­taine durée, le risque était que le volon­taire soit plus un poids qu’un soutien.”

La prési­dente d’U­nis-Cité reste donc ent­hou­si­aste, même si le défi est de taille : “Il y a de l’am­bi­tion dans ce pro­jet ! 150 000 con­trats pour com­mencer, c’est ambitieux mais prag­ma­tique. On a enten­du récem­ment l’idée de ren­dre le ser­vice civique oblig­a­toire… Mais on n’ar­rive déjà pas à accueil­lir tous ceux qui veu­lent le faire d’eux-même !” L’ob­jec­tif de 150 000 est donc finale­ment réal­iste, selon elle. Et puis si ce n’est pas juin et pas sep­tem­bre, ce n’est pas grave… Ce qui compte, c’est que le ser­vice civique se généralise !”

> VIDEO : Unis-Cité, “le rap des volon­taires” (2012)

2. Quel budget doit être mis sur la table ?

Dans un com­mu­niqué pub­lié à la suite des annonces de François Hol­lande sur son site, Unis-Cité évoque un bud­get qui devra tripler rapi­de­ment, pour attein­dre l’ob­jec­tif fixé par François Hol­lande dès 2015. Le cal­cul est sim­ple : un jeune coûte à l’É­tat 4 000 € par mis­sion, pour une durée moyenne de 8 mois. Mul­ti­plié par 150 000 con­trats, on arrive au chiffre de 600 mil­lions d’eu­ros annuels, soit 400 mil­lions de plus qu’en 2014. Un “boom” du bud­get qui, s’il est voté au Par­lement, provo­quera une petite révo­lu­tion dans le monde du ser­vice civique, con­traint de se ser­rer la cein­ture jusque là.

“Cela fait des années que des struc­tures, notam­ment à l’échelle locale, font des deman­des d’a­gré­ment mais se les voient refuser, faute de bud­get”, con­cède la prési­dente d’U­nis-Cité. L’a­gré­ment (délivré par le départe­ment, la région ou l’A­gence du ser­vice civique elle-même), c’est ce qui autorise les struc­tures asso­cia­tives à accueil­lir des jeunes en ser­vice civique. Sans lui, elles ne peu­vent pas embauch­er. Or “depuis des années”, racon­te Marie Trel­lu-Kane, “les ser­vices de l’É­tat arrê­tent d’a­gréer régulière­ment parce que le bud­get est insuff­isant, il y a des stop and go à répéti­tion et ça en a peut-être découragé cer­tains”. Pour la co-fon­da­trice d’U­nis-Cité, il ne s’ag­it donc pas seule­ment d’aug­menter le bud­get de l’A­gence du ser­vice civique, mais aus­si de redonner con­fi­ance aux struc­tures d’ac­cueil. Pour cela, “il faut sanc­tu­aris­er le bud­get de l’A­gence du ser­vice civique” selon Marie Trel­lu-Kane. “Il faudrait presque un finance­ment fléché, dédié, comme l’évo­quait François Chérèque (NDLR: actuel Prési­dent de l’ASC). Si on n’a pas de vis­i­bil­ité sur le bud­get, ça va être dif­fi­cile de mon­ter en charge…”

Mais l’ar­gent à met­tre sur la table pour financer les 150 000 con­trats ne se borne pas au finance­ment de 120 000 payes (“grat­i­fi­ca­tions”) sup­plé­men­taires. “Il va fal­loir financer aus­si la for­ma­tion des tuteurs, qui seront les référents des jeunes dans les struc­tures d’ac­cueil”, rap­pelle la Prési­dente d’U­nis-Cité. Et donc,  financer les struc­tures qui for­ment ces tuteurs… Or aujour­d’hui, Unis-Cité et la Ligue de l’En­seigne­ment sont les deux seuls organ­ismes à dis­penser ces for­ma­tions. “Jusqu’à main­tenant, on était capa­ble d’as­sumer toutes les deman­des. On était même plutôt en dessous de nos capac­ités.” Mais de là à affron­ter 150 000 con­trats dès 2015… “Il va fal­loir indus­tri­alis­er le dis­posi­tif, juge Marie Trel­lu-Kane, il fau­dra plus de moyens aux struc­tures exis­tantes et d’autres moyens pour financer de nou­velles struc­tures” .

Enfin,“il se peut qu’il faille négoci­er un sou­tien sup­plé­men­taire au mon­tant de 100 euros men­su­els que donne l’E­tat aux struc­tures d’ac­cueil pour la for­ma­tion des jeunes” note la Prési­dente d’U­nis Cité. Un mon­tant qui s’avère, selon elle, insuff­isant dans cer­tains cas, en par­ti­c­uli­er pour “les jeunes qui man­quent  de qual­i­fi­ca­tions ou d’ex­péri­ences” au début de leur ser­vice civique. “Ils faut qu’ils soient for­més davan­tage que les autres” pour dévelop­per leurs com­pé­tences et être utile le plus vite pos­si­ble au sein de leur struc­ture d’ac­cueil, plaide Marie Trel­lu-Kane. “Car le risque avec la mas­si­fi­ca­tion du ser­vice civique, c’est qu’il y ait moins de mis­sions pour les jeunes qui ont arrêté l’é­cole tôt ou qui ont moins d’au­tonomie. La solu­tion c’est de soutenir finan­cière­ment les struc­tures asso­cia­tives ou les col­lec­tiv­ités ter­ri­to­ri­ales, pour qu’elles for­ment mieux leurs encad­rants.” Une option budgé­taire sup­plé­men­taire qui devra là encore être négo­ciée pied à pied.

3. Les collectivités sont-elles prêtes à ouvrir leurs portes ?

Suite aux déc­la­ra­tions du prési­dent de la République, Unis-Cité a lancé un appel, à la mobil­i­sa­tion en direc­tion des citoyens, du gou­verne­ment et de tous les acteurs de ter­rain. Il s’adresse notam­ment à “l’ensem­ble des élus locaux, et en par­ti­c­uli­er des Maires”, qui doivent “s’en­gager pour le développe­ment du ser­vice civique sur leur ter­ri­toire.” En effet, mal­gré un boom de l’ac­cueil des ser­vice civique dans les col­lec­tiv­ités entre 2013 et 2014 (+30%), les ser­vices de l’E­tat restent à la traîne par rap­port aux asso­ci­a­tions. Or, comme l’ont répété à plusieurs repris­es les Prési­dents suc­ces­sifs de l’A­gence du Ser­vice civique, Mar­tin Hirsch (ici) et François Chérèque (), les col­lec­tiv­ités ont voca­tion à devenir un acteur majeur du ser­vice civique et doivent appren­dre à ouvrir leurs portes, pour mon­tr­er l’exemple.

“Il ne faut pas compter que les asso­ci­a­tions pour accueil­lir des jeunes, martèle Marie Trel­lu-Kane, “les écoles, les hôpi­taux, les étab­lisse­ments publics, cul­turels ou admin­is­trat­ifs, doivent le faire aus­si”. Pour la co-fon­da­trice d’U­nis-Cité, “il y a des pos­si­bil­ités en masse dans ce lieux là”, dans les domaines de l’ac­com­pa­g­ne­ment des jeunes, des per­son­nes âgées ou des publics hand­i­capés notamment.

Il faut donc entamer le plus vite pos­si­ble des dis­cus­sions tri­par­tites selon Marie Trel­lu-Kane, avec, d’une part, les min­istères (Jeunesse, San­té, Édu­ca­tion…) mais aus­si les respon­s­ables et les syn­di­cats des étab­lisse­ments poten­tielle­ment con­cernés, pour éval­uer les besoins de cha­cun et con­cevoir les mis­sions que pour­raient y effectuer les jeunes.

Cette ouver­ture ne sera pas des plus sim­ples. “Cer­taines struc­tures man­queront peut-être d’ex­péri­ence en matière d’ac­cueil des jeunes, notam­ment ceux qui sont en décrochage sco­laire ou pas encore autonomes… Là aus­si, il fau­dra faire de la for­ma­tion”, relance la prési­dente d’U­nis-Cité, fidèle à la philoso­phie du ser­vice civique.

Un énième défi à relever, qui, là encore, néces­sit­era le déblocage de fonds de la part du gou­verne­ment… Eloignant un peu plus les besoins réels néces­saires à la mise en place d’un ser­vice civique uni­versel en France, de l’es­ti­ma­tion de 600 mil­lions d’eu­ros portée par Unis-Cité.