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Terrorisme : en deuil, le Japon revoit sa Constitution pacifiste

Au lendemain de l'exécution de deux de ses ressortissants par le groupe Etat islamique, le Japon lance une première ébauche de révision de sa Constitution, qui proclame la renonciation à la guerre depuis 1947.

C’est un 11 sep­tem­bre japon­ais.” Pour l’an­cien con­seiller du Pre­mier min­istre Shin­zo Abe, Kuni­hiko Miyake, l’as­sas­si­nat de Ken­ji Goto et Haruna Yukawa, le 24 et le 31 jan­vi­er par le groupe Etat islamique, signe l’échec de la doc­trine paci­fiste japonaise.

Il est temps pour le Japon d’ar­rêter de rêvass­er, d’imag­in­er que sa bonne volon­té et ses nobles inten­tions seront suff­isantes pour le pro­téger des dan­gers du monde extérieur, a estimé le diplo­mate. Les Améri­cains ont été con­fron­tés à cette dure réal­ité, puis les Français, main­tenant c’est notre tour”.

Une réal­ité qui amène le Japon à remet­tre en cause le principe de renon­ci­a­tion à la guerre, édic­té à l’ar­ti­cle 9 de sa Con­sti­tu­tion. Le texte avait été adop­té en 1947 sous la pres­sion des Etats-Unis, pour frein­er les visées expan­sion­nistes du Japon au lende­main de la Sec­onde Guerre mondiale.

Le par­ti libéral démoc­rate a déjà présen­té une ébauche d’a­mende­ment ” à l’ar­ti­cle 9 de la Con­sti­tu­tion, a déclaré le Pre­mier min­istre japon­ais Shin­zo Abe mar­di soir, rap­porte l’a­gence de presse Kyo­do. Ce dernier envis­agerait d’or­gan­is­er un vote dans l’an­née, selon l’AFP, pour lever l’in­ter­dic­tion faite à l’ar­mée d’in­ter­venir à l’é­tranger en sou­tien à un pays allié, notam­ment dans le cas où un ressor­tis­sant japon­ais serait en danger.

“Travailler avec la communauté internationale”

Lun­di, après avoir promis de “faire pay­er le prix aux ter­ror­istes” le Pre­mier min­istre con­ser­va­teur Shin­zo Abe a ouvert le débat, indi­quant qu’il voulait dis­cuter la pos­si­bil­ité d’établir un “cadre” per­me­t­tant à l’ar­mée de porter sec­ours aux ressor­tis­sants japon­ais, à l’é­tranger, lorsque ceux-ci sont en danger.

Fidèle à sa tra­di­tion de non-inter­ven­tion, le Japon ne par­ticipe pas à la coali­tion inter­na­tionale con­tre le groupe Etat islamique. Pour autant,  peu de temps après avoir appris la dif­fu­sion attes­tant de la mort du deux­ième otage, Shin­zo Abe a déclaré que le pays était  « fer­me­ment résolu à pren­dre ses respon­s­abil­ités en lien avec la com­mu­nauté inter­na­tionale pour com­bat­tre le ter­ror­isme».

Ces annonces inter­vi­en­nent dans un con­texte ten­du pour le gou­verne­ment de coali­tion. Shin­zo Abe a été cri­tiqué dans sa ges­tion de la prise d’o­tages par le groupe Etat islamique, qui récla­mait en pre­mier lieu une rançon de 200 mil­lions de dol­lars con­tre la libéra­tion des deux otages. De nom­breux organes de presse nip­pons ont égale­ment réprou­vé son annonce du 17 jan­vi­er, quelques jours avant l’exé­cu­tion du pre­mier otage,  d’oc­troy­er une aide finan­cière 200 mil­lions de dol­lars (177 mil­lions d’eu­ros) aux pays “com­bat­tant l’E­tat islamique”. Shin­zo Abe s’est jus­ti­fié par la suite en affir­mant que le motif de cette aide serait pure­ment humanitaire.

Les Japonais attachés à l’article 9

L’ar­ti­cle 9 dis­pose que le peu­ple japon­ais renonce “à jamais à la guerre en tant que droit sou­verain de la nation”, pré­cisant : “il ne sera jamais main­tenu de forces ter­restres, navales et aéri­ennes, ou autre poten­tiel de guerre. Le droit de bel­ligérance de l’É­tat ne sera pas recon­nu.”

Ce n’est pas la pre­mière fois que l’hy­pothèse d’une révi­sion est évo­quée. Depuis son arrivée au pou­voir en 2012, Shin­zo Abe, à la tête d’une coali­tion de cen­tre-droit, fait pres­sion en ce sens. Mais devant les réti­cences de la pop­u­la­tion japon­aise, il a renon­cé à expurg­er pure­ment et sim­ple­ment l’ar­ti­cle 9 de la Con­sti­tu­tion. En juil­let dernier, le gou­verne­ment a ten­té une “réin­ter­pré­ta­tion” du texte, en se dotant de la doc­trine dite de “l’au­to-défense col­lec­tive”, per­me­t­tant de pro­téger les ressor­tis­sants en dan­ger à l’étranger.

Une frange impor­tante de la pop­u­la­tion japon­aise voit pour­tant dans ces mesures une dérive mil­i­tariste. Sur Twit­ter, ces derniers jours, on voit réap­pa­raître les invi­ta­tions à sign­er une péti­tion, lancées en juil­let dernier, pour décern­er le prix Nobel de la Paix au peu­ple japon­ais. Les auteurs de cette péti­tion qui a déjà recueil­li plus de 70 000 sig­na­tures, insis­taient par­ti­c­ulière­ment sur leur attache­ment à l’ar­ti­cle 9.

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Otages japonais au Moyen-Orient : des précédents

Si le pays a été jusqu’i­ci rel­a­tive­ment épargné par la men­ace jihadiste, plusieurs Japon­ais ont été visés ces dernières années. En 2013, lors de la reten­tis­sante attaque du site gazier d’In Ame­nas per­pétrée par les “sig­nataires par le sang” un groupe dis­si­dent d’AQ­MI (Al-Qai­da au Maghreb islamique), en Algérie,  38 otages avaient trou­vé la mort, dont 10 Japon­ais. En 2005, un ancien sol­dat nip­pon était cap­turé et tué en Irak par des mem­bres du groupe Ansar Al-Sun­na, lié à Al-Qaïda.

L’an­née précé­dente, et pour la pre­mière fois depuis cinquante ans, le Japon avait décidé d’en­voy­er des mem­bres de ses forces d’au­todéfense en Irak. en sou­tien à la coali­tion mil­i­taire dirigée par les Etats-Unis. La mis­sion, can­ton­née à un objec­tif human­i­taire et de recon­struc­tion, s’est achevée en 2008. Sept ans après, le Japon sem­ble prêt à revenir, avec une nou­velle pri­or­ité : garan­tir sa sécurité.

Pho­to d’en-tête : Shin­zo Abe a annon­cé qu’une révi­sion de la Con­sti­tu­tion paci­fiste était à l’é­tude (crédit : CSIS Cen­ter for Strate­gic and Inter­na­tion­al Studies)