Intégration

Une poignée de résistants entretient l’esprit de l’«après-Charlie »

Nous étions des milliers à nous recueillir place de la République. Ils ne sont plus qu’une poignée à entretenir les hommages laissés aux abords de la statue. Le collectif « 17 plus jamais » se mobilise pour conserver les messages, dessins, bougies. Et au-delà de ça, l’esprit de l’«après-Charlie ».

Mer­cre­di 7 jan­vi­er, quelques heures après l’attaque de Char­lie Heb­do, la place de la République est noyée sous un flot humain. L’indignation, la tristesse et le deuil ont fait se réu­nir autour de la stat­ue éponyme des dizaines de mil­liers de citoyens blessés. Les pre­mières bou­gies sont allumées. Des ban­deroles sont dépliées. Les sty­los sont levés.

Trois semaines après l'attentat de Charlie Hebdo, la place de la République est quasiment vide (Photo : 3 millions7/P.Robert)
Trois semaines après l’at­ten­tat de Char­lie Heb­do, la place de la République est qua­si­ment vide (Pho­to : 3 millions7/P.Robert)

Trois semaines plus tard, ce mer­cre­di 28 jan­vi­er à la nuit tombée, il ne reste plus que quelques badauds qui tour­nent autour de la stat­ue ou pho­togra­phient les mes­sages et les dessins qui se sont accu­mulés au fil des jours. Au milieu de cette ronde de regardeurs, quelques four­mis s’activent, armées de sacs poubelles, de scotch et de pochettes plas­tiques. Les mem­bres du col­lec­tif « 17 plus jamais », 17 comme le nom­bre de morts lors des atten­tats de Paris et de Mon­trouge, sont réu­nis pour entretenir les hom­mages déposés en l’honneur des vic­times et de la liberté.

Pour protéger les messages de la pluie, les membres du collectif les mettent dans des pochettes en plastique (Photo : 3millions7/P.Robert)
Pour pro­téger les mes­sages de la pluie, les mem­bres du col­lec­tif les met­tent dans des pochettes en plas­tique (Pho­to : 3millions7/P.Robert)

“Venez m’aider’

Ils sont env­i­ron « 7 ou 8 » à venir régulière­ment pour « plas­ti­fi­er les mes­sages, ral­lumer les bou­gies, pass­er le bal­ai, net­toy­er et grat­ter les graf­fi­tis qui n’ont rien à voir », selon Sab­ri­na, qui est à l’origine du col­lec­tif. Ce soir, en plus de Sab­ri­na et Rémy, qui est aus­si l’un des fon­da­teurs de « 17 plus jamais », qua­tre autres paires de main s’activent pour pro­téger toutes ces mar­ques d’émotions, pour les abrit­er des dégâts du temps et de la météo.

Coif­fée d’un cha­peau noir, sur lequel sont accrochés des bou­tons tra­ver­sés par une épin­gle à nour­rice — signe du col­lec­tif — Sab­ri­na racon­te avec énergie com­ment celui-ci est né :

« Je reve­nais de l’hommage aux policiers et je me suis arrêtée à République. Il y avait des sacs de McDo, des mou­choirs. Il pleu­vait et les mes­sages pre­naient l’eau. Sur ordre de la Mairie, les employés de la Voirie étaient en train de net­toy­er les îlots sur la place. J’ai tout rap­a­trié sur la stat­ue et j’ai gueulé ‘venez m’aider’.»

Les membres du collectif espèrent que de nombreux Parisiens viendront les aider (Photo : 3millions7/P.Robert)
Les mem­bres du col­lec­tif espèrent que de nom­breux Parisiens vien­dront les aider (Pho­to : 3millions7/P.Robert)

Depuis, ce cri du cœur s’est trans­for­mé en col­lec­tif. Une page Face­book a été créée et des rassem­ble­ments réguliers ont lieu, les mer­cre­di et ven­dre­di à 18 heures, ain­si que les dimanche à 15 heures. « On ne demande pas d’argent. Juste de pren­dre un peu de temps, de venir avec des pochettes en plas­tique et du scotch. Même si c’est juste cinq min­utes pour ral­lumer des bou­gies. Les petites choses mis­es bout à bout, ça marche », affirme la jeune femme.

Autour de la statut, messages, dessins, stylos, fleurs et bougies se mêlent (Photo : 3millions7/P.Robert)
Autour de la statut, mes­sages, dessins, sty­los, fleurs et bou­gies se mêlent (Pho­to : 3millions7/P.Robert)

Et maintenant ?

Surtout quand ces petites choses per­me­t­tent de con­serv­er l’esprit de l’« après-Char­lie », de ne pas oubli­er. Louise-Anne, qui est là pour la pre­mière fois, s’est arrêtée en sor­tant du tra­vail. À une époque où « on avance très vite et on zappe », cette cadre estime que « ce mou­ve­ment beau et fort a été capa­ble de nous redress­er » et qu’il « ne faut pas que ça retombe ». Pren­dre des gants, remet­tre les bou­gies dans des bocaux, ou pro­téger les dessins, c’est aus­si un moyen pour cer­tains de répon­dre à la ques­tion du « et maintenant? ».

« Qu’est-ce que le mou­ve­ment va devenir ? Qu’est-ce qu’on va faire de con­cret ? J’ai eu la réponse en écoutant la radio ce matin et en enten­dant par­ler de l’initiative », explique Anaïs, une étu­di­ante de 24 ans qui venait aus­si pour la pre­mière fois.

D’autres aides extérieures ont été apportées au col­lec­tif. Les employés de la voirie leur ont don­nés des sacs poubelles et des bal­ais, qu’ils stock­ent place de la République pour ceux qui voudraient venir net­toy­er en-dehors des rassem­ble­ments organisés.

Pour le moment, « 17 plus jamais » ne sait pas encore s’il va pou­voir con­tin­uer à pren­dre soin des lieux ou si la Mairie va repren­dre la main. Un ren­dez-vous avec Anne Hidal­go, maire de Paris, est prévu dans les prochains jours. Rémy espère que la suite « sera choisie par un proces­sus démoc­ra­tique ».

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“Je n’ai pas envie que ça disparaisse”

En cette froide soirée du 28 jan­vi­er, il y a un prob­lème plus urgent à régler : celui de l’eau qui s’accumule sur les dalles de la stat­ue. Avec des raclettes, les mem­bres du col­lec­tif essayent de la pouss­er vers les évac­u­a­tions. Tout en con­tin­u­ant à s’activer, Nico­las nous con­fie d’un air timide :

« Je n’ai pas envie que ça dis­paraisse. J’ai peur que ça dis­paraisse. Que les gens oublient. »

Si l’oubli se dépose peu à peu sur les drames de jan­vi­er, comme la fine flaque d’eau recou­vre une par­tie du socle de la stat­ue, il reste une poignée de résis­tants à République pour ten­ter de le repousser.

Légende : Sab­ri­na a créé le col­lec­tif “17 plus jamais” pour entretenir les hom­mages déposés place de la République (Pho­to : 3 millions7 / P.Robert)