Intégration

Les statistiques ethniques soulèvent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent

Autorisées aux Etats-Unis et au Royaume Uni, interdites en France, les statistiques ethniques soulèvent de nombreuses discussions. Certains y voient un outil démographique et une arme contre les discriminations. D'autres craignent une instrumentalisation politique, ou la montée du communautarisme.

Nico­las Sarkozy l’avait évo­qué le pre­mier. Depuis, le débat ne cesse de ressur­gir, tan­tôt à gauche, tan­tôt à droite. Cette fois, c’est Benoist Apparu qui l’évoque. Invité du  “Talk Orange-Le Figaro” mer­cre­di soir, l’ex-min­istre du loge­ment UMP s’est alar­mé de la ghet­toï­sa­tion gran­dis­sante des quartiers. La solu­tion ? Une poli­tique de peu­ple­ment cal­i­brée sur des sta­tis­tiques ethniques.

Le député UMP recon­nait que, pour lut­ter con­tre ce phénomène :“Il faut du loge­ment social à 10, 20, 25 % dans le XVIe arrondisse­ment” et “en Seine-Saint-Denis, il faut oblig­er les maires à faire du (loge­ment) privé”. Sou­vent en effet, les loge­ments soci­aux provo­quent une polar­i­sa­tion sociale, car ils sont regroupés dans des périphéries, à l’é­cart des autres logements.

Mais à côté de cette solu­tion, Benoit Apparu se demande si “on doit choisir sur des critères autres que financiers telle ou telle per­son­ne dans tel ou tel loge­ment social ?” Selon lui, les poli­tiques de peu­ple­ment prônées par Manuel Valls devraient inté­gr­er des cri­tiques eth­niques. En clair, le député estime qu’en mélangeant les pop­u­la­tions d’o­rig­ine étrangère, on évit­era la con­cen­tra­tion de per­son­nes issues d’un même pays ou d’une même culture.

Les statistiques ethniques clairement interdites par la loi

Les sta­tis­tiques eth­niques sont inter­dites par la loi infor­ma­tique et lib­ertés de 1978, mod­i­fiée en 2004 pour s’har­monis­er avec le droit européen. Cette loi inter­dit de traiter des don­nées per­son­nelles faisant appa­raitre les ori­en­ta­tions poli­tiques, religieuses, syn­di­cales, sex­uelles, l’é­tat de san­té ou les orig­ines eth­niques et raciales.

Faut-il autoris­er la col­lecte de ces don­nées ? L’idée paraît saugrenue. Les ban­lieues HLM français­es regroupent les pop­u­la­tions les plus pau­vres. La ghet­toï­sa­tion est donc due à la pau­vreté et non à l’ethnie.

Ensuite, une fois les don­nées col­lec­tées, com­ment, con­crète­ment, les autorités comptent men­er une poli­tique de pop­u­la­tion où les eth­nies sont plus “mélangées” ? Com­bi­en de pour­cent­age d’asi­a­tiques, de maghrébins, d’africains ? Quand décide-t-on s’il y a trop, ou pas assez, d’une caté­gorie de la population ?

Le débat rap­pelle une phrase mal­heureuse de Manuel Valls de 2009 lors de l’or­gan­i­sa­tion d’une bro­cante dans la ville d’Évry. Dans une séquence dif­fusée sur la chaîne Direct 8, le futur min­istre de l’In­térieur avait demandé en riant qu’on rajoute “quelques blancs, quelques whites, quelques blan­cos” pour don­ner une image pos­i­tive de sa ville.

Voir la vidéo ci-dessous :

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, la collecte de données ethniques conduit à de nombreuses dérives

Les exem­ples des Etats-Unis et du Roy­aume-Uni témoignent des prob­lèmes soulevés par ces statistiques.

Aux Etats-Unis, le recense­ment détaille déjà de 116 à 130 catégories.Et les ques­tions sont nom­breuses : Com­ment sat­is­faire toutes les reven­di­ca­tions ? Com­ment class­er les per­son­nes métis­sées ? Com­ment ne pas enfer­mer les pop­u­la­tions dans des cases ?

Pire encore, les sta­tis­tiques eth­niques peu­vent devenir un out­il dan­gereux, si elles sont instru­men­tal­isées à des fins poli­tiques. Au Etats-Unis, cer­tains Etats répub­li­cains pra­tiquent le découpage des dis­tricts à des fins par­ti­sanes (ce qu’on appelle le ger­ry­man­der­ing). Grâce aux don­nées sur les lieux de rési­dence des pop­u­la­tions noires – cen­sées vot­er pour le Par­ti démoc­rate- , des fonc­tion­naires découpent les cir­con­scrip­tions de manières à diluer les votes démoc­rates pour obtenir des majorités répub­li­caines. ( Voir l’ar­ti­cle ”retour feu­tré de la dis­crim­i­na­tion elec­toraleLe Monde Diplo­ma­tique, octo­bre 2014)

Une mesure inefficace pour lutter contre les ghettos

Et ces sta­tis­tiques n’empêchent aucune­ment la for­ma­tion de ghet­tos noirs ou musul­mans, au Etats-Unis comme au Roy­aume-Uni. Il existe en Angleterre des quartiers regroupant une très forte con­cen­tra­tion de pop­u­la­tion de con­fes­sion musul­mane.  L’af­faire de l’in­fil­tra­tion par des islamistes de six écoles publiques de la cité des Mid­lands à Birm­ing­ham le prouve.

Les sta­tis­tiques eth­niques risquent égale­ment de cristallis­er les pop­u­la­tions sur leurs orig­ines. L’ex­em­ple du Liban, où seul prime l’ap­par­te­nance eth­ni­co-religieuse dans le partage du pou­voir, est aus­si par­lant que peu recommandable.

Pho­to d’en-tête : Diver­sité et eth­nie provo­quent encore un vif débat. (Flickr / DryHundredFear)