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L’Arabie Saoudite change de roi mais conserve la même politique

Le roi Salmane, successeur d'Abdallah, arrive dans une période trouble pour l’Arabie saoudite. En perte d’influence, le royaume entend regagner sa place d’allié principal de l’Occident par son engagement dans la lutte contre le terrorisme et une politique pétrolière agressive.

Les hom­mages dithyra­m­biques ren­dus par les chefs d’Etats occi­den­taux au défunt roi Abdal­lah ne doivent pas mas­quer la réal­ité : ces dernières années ont vu un recul de l’influence saou­di­enne au Moyen-Ori­ent et dans le monde.

Le réchauf­fe­ment des rela­tions diplo­ma­tiques entre l’Iran — enne­mi juré de l’Arabie Saou­dite sun­nite — et l’Occident, le ren­force­ment d’un axe chi­ite Téhéran-Bag­dad-Damas, ou encore la pro­duc­tion mas­sive de pét­role de schiste améri­cain, qui rend le con­ti­nent améri­cain moins trib­u­taire du pét­role saou­di­en, sont autant d’épines dans le pied du régime ultra-con­ser­va­teur wahhabite.

Perte d’influence

Le roy­aume a été par­ti­c­ulière­ment exas­péré par de nom­breux axes de la poli­tique étrangère de Wash­ing­ton. Par­mi eux : le sou­tien améri­cain à un gou­verne­ment chi­ite en Irak, la sig­na­ture d’un accord intéri­maire sur le pro­gramme nucléaire iranien, son refus d’intervenir en Syrie ou encore son sou­tien aux Chi­ites au Liban…

Cette perte de pou­voir s’est traduite par des signes de protes­ta­tion plus ou moins effi­caces : en 2013, l’Arabie Saou­dite a ain­si refusé le siège qui lui était offert, pour la pre­mière fois, au Con­seil de sécu­rité de l’ONU.

Pour rede­venir un acteur incon­tourn­able au Moyen-Ori­ent, le roy­aume veut utilis­er ses meilleurs atouts : le pét­role, la sta­bil­ité de son régime et la lutte con­tre le terrorisme.

Maintien de la politique pétrolière

L’exploitation mas­sive du pét­role de schiste sur le con­ti­nent nord améri­cain avait dimin­ué l’importance de Riyad aux yeux de Wash­ing­ton. Le roy­aume peut invers­er le recul de son influ­ence s’il main­tient les cours du pét­role en dessous des coûts d’exploitation des schistes bitu­mineux et de l’huile de schiste. 

Peu après son acces­sion au trône, Salmane a sous enten­du qu’il con­serverait la même poli­tique énergé­tique que son prédécesseur. On peut donc s’attendre à des cours autour de 50$ le bar­il en 2015. Or, en dessous de 80$ le bar­il, les for­ages de pét­role de schiste nord-améri­cains ne sont plus renta­bles. D’ailleurs, plusieurs com­pag­nies améri­caines dans ce secteur ont déjà du licenci­er du per­son­nel et gel­er des investisse­ments. Le cana­di­en Sun­cor a ain­si sup­primé 1 000 emplois, alors que Roy­al Dutch Shell a détru­it 10% de ses 3 000 postes au Cana­da. Et le phénomène devrait s’amplifier.

Si les cours de l’or noir se main­ti­en­nent à un niveau aus­si bas, les Etats-Unis vont devoir repren­dre les impor­ta­tions mas­sives de pét­role saou­di­en. Riyad aura alors plus d’ar­gu­ments pour se faire entendre.

Cepen­dant, cette poli­tique pétrolière pour­rait men­ac­er la sta­bil­ité du pays. Riyad achète la paix sociale de ses habi­tants à coup de sub­ven­tions mas­sives tirées de la rente pétrolière. La baisse des recettes pétrolières pour­rait se réper­cuter sur ces pro­grammes soci­aux et raviv­er la grogne pop­u­laire qui s’était emparé du pays en 2011.

Lutte contre le terrorisme

L’engagement du roy­aume aux côtés de la coali­tion qui com­bat le groupe “Etat Islamique” per­met égale­ment de ren­forcer les liens avec l’Occident et de regag­n­er du poids sur la scène inter­na­tionale. Mais, cela en fait aus­si une cible priv­ilégiée pour les jihadistes. Ain­si, le 5 jan­vi­er, le poste-fron­tière saou­di­en de Suweif, près de la ville d’Ara a été attaqué par des fana­tiques. Trois sol­dats dont le général Oudah al-Belawi ont été tués.

Face à cette men­ace immi­nente, l’Arabie saou­dite a accéléré la con­struc­tion d’une muraille ultra sophis­tiquée de 900 km le long de la fron­tière iraki­enne, et a envoyé 30 000 sol­dats sup­plé­men­taires dans cette région. Une autre bar­rière est en cours de con­struc­tion, depuis 2003, sur les 1 800 km de fron­tières avec le Yémen, où Al Qaï­da est très active. Cepen­dant, la men­ace pour­rait aus­si venir de l’intérieur. Out­re les démoc­rates, l’opposition compte des islamistes rad­i­caux qui pour­raient être séduits par les appels à la révolte du groupe “Etat Islamique”.

Pas de change­ment majeur à atten­dre, donc, dans la poli­tique saou­di­enne. Seule les féro­ces luttes de pou­voir au sein de la famille royale pour­raient trou­bler la ligne fixée par Abdal­lah et reprise par Salmane.

Pho­to : François Hol­lande a présen­té ses con­doléances au roi Salmane (AFP PHOTO / YOAN VALA).